2025-02-07-La grande histoire-Le deuxième mariage de Jos
C’est l’automne 1901 et Jos doit se trouver du boulot. Le travail ne manque pas dans la forêt. Il y a des chantiers partout pour alimenter la Compagnie de Pulpe de Chicoutimi (CPC) de messieurs J-E-A Dubuc et J. Guay et la pulperie de monsieur W. Price à Jonquière. Dans deux ans il y aura même l’usine de bois de l’Anse à Benjamin à Bagotville. C’est une usine d’écorçage de bois que la compangie américaine Battle Island de New-York viendra installer. Le bois nettoyé de son écorce sera transporté en bateau jusqu’en Ontario et aux États-Unis.
Les Écorceurs sur la rive de la Baie des Ha Ha
La compagnie Price a même des scieries à faire tourner un peu partout dont celle du lac Laurent à St-Fulgence. Mais la chance semble tourner pour Jos; il n’aura pas à s’exiler pour travailler dans un chantier de bûcherons. Monsieur Louis Savard, de Sainte-Anne a accepté un contrat de 50 000 billots sur la rivière Valin pour la compagnie Price. La forêt un peu plus au nord de la rivière Valin est riche en épinettes grises, du bois parfait pour faire des madriers pour l’exportation. Avec son expérience de bûcherons au Lac Bouchette, il est embauché immédiatement et le salaire est plutôt intéressant. Grâce à l’effervescence de l’industrie du bois, les salaires ont augmenté au même niveau que dans les chantiers de l’Ontario. Les marchands de la région font des affaires d’or puisque les bûcherons dépensent plus qu’avant et l’économie va bon train.
La rue Racine ne restera pas toujours comme ça
Parlant de marchands, Jos a besoin de s’équiper au grand complet pour aller bûcher. Il a besoin de bons vêtements d’hiver, de bottes, de mitaines, de haches, de sciottes, de godendarts sans oublier des corps de laine et une couple de nouvelles pipes. Sa mère Marguerite lui dit d’aller chez Jimmy Tremblay au pied de la côte qui mène à l’église, pas loin de la traverse. C’est le mari de sa cousine Kate et il tient un magasin général.
Le magasin à Jimmy au pied de la côte
Jos s’informe un peu de cette cousine et sa mère lui raconte la petite histoire :
« Kate, c’est Catherine, la fille de mon oncle François Maltais. Il a marié une indienne de Tadoussac, Alexandrienne McKenzie. Ils sont venus s’installer à Terres-Rompues. Kate s’est marié avec Jimmy Tremblay, un bon prétendant. C’est le fils de Kessy (Alexis), un « bussiness man » de la compagnie Price. Il était maire de Sainte-Anne et il a légué ses affaires à son Jimmy. Ça fait que quand tu iras, t’auras juste à dire que t’es le fils de Marguerite Maltais, la cousine de Kate. »
Jimmy et Kate
Jos ne tarde pas et par un beau matin d’automne, il se retrouve au magasin de monsieur Jimmy. Il se présente et monsieur Tremblay est bien content de faire sa connaissance. Naturellement, il s’informe de sa cousine de Valin et de sa famille. Jos trouve tout ce qu’il a besoin et même plus. Alors qu’il regarde l’étalage des pipes et du tabac, il remarque deux jeunes filles qui sont en train de placer des balles de laine dans le coin de la couture. Elles sont très enjouées et n’arrêtent pas de rire. Jos est particulièrement attirée par la plus vieille qui ne l’est pas tant que ça. Son rire est moqueur et communicatif de sa joie de vivre. À n’en pas douter, elle a des origines indiennes. Elle lui tombe littéralement dans l’œil.
Quelle pipes choisir?
Jos n’attend pas l’hiver pour aller travailler au chantier. Ses deux enfants sont bien accueillis dans sa famille et confiant, il peut partir au travail. Il reviendra probablement dans deux semaines. Comme c’est une première exploitation, il faut construire le camp pour recevoir les travailleurs. Il a de l’expérience dans la construction et il est nommé contremaître pour diriger les travaux d’aménagement. Les premières neiges commencent à tomber. La construction avance bien. Bientôt, on va commencer la coupe des arbres et le transport des billots jusqu’à la rivière. Jos est dans son élément et il se sent bien. La saison du chantier se poursuit et les retours dans la famille sont toujours très festifs.
Les joyeux bûcherons
Le chantier ferme à la fin du printemps suivant en 1902 mais le travail ne manque pas pour Jos. Il se fait engager pour finaliser la construction de l’hôtel de ville de Chicoutimi. Jos connait bien Chicoutimi et il se trouve une chambre et pension pas trop loin de la rivière aux Rats en plein centre-ville. L'Hôtel de ville est un bel édifice construit selon les plans de monsieur David Ouellet qui est l'un des membres fondateurs, en 1890, de l'Association des architectes de la province de Québec. Avec son fils, il a conçu l'église de Notre-Dame-de-l'Annonciation (1907), à L'Ancienne-Lorette.
Hôtel de ville de Chicoutimi, 1902.
Église de l'Ancienne Lorette, 1907.
Depuis sa visite au magasin de Jimmy Tremblay, à l’automne passé, Jos ne cesse de penser à la jeune fille. Presqu’à tous les dimanches, il s’organise pour s’assoir à proximité d’elle lors de la grand-messe à l’église Sainte-Anne. On ne connait pas trop comment fonctionnent les forces d’attraction, à part Newton, un physicien anglais, mais même lui n’aurait pas pu expliquer comment une maintenant âgée de 17 ans puisse être attirée par ce gaillard de 26 ans. Toujours est-il que c’est la seconde fois que Jos est troublé par une jeune fille et qu’elle aussi se sente attiré par ce beau brun. Si l’écart d’âge était de 5 ans avec sa première femme Anna, cette fois-ci elle est de 9 ans. Est-ce possible?
Mais qui est cet anonyme?
Ce n’est que le 26 juillet 1902 que Jos l’aborda pour la première fois. C’est bien gravé dans sa mémoire, c’était un samedi, tout ensoleillé, lors d’une grande fête publique, la fête de Sainte-Anne. Cette fête religieuse était très particulière pour les indiens du lac Clair (au nord du village de Ste-Anne) qui espéraient une guérison de leurs malades par Sainte-Anne, la mère de Marie, la mère de Jésus. Lors de leur pèlerinage, ils installaient leurs tentes dans la rue « des sauvages » qui est devenue la petite rue St-Alexis. C’est le nom donné en l’honneur d’Alexis Tremblay, dit Kessy, le père de Jimmy Tremblay qui tenait le magasin général. C’est peut-être la raison qui a poussé Jean-Luc à acheter une maison dans cette rue, un siècle plus tard. Jos connaissait maintenant toute l’histoire de la jeune fille du magasin. Elle s’appelle Marie et sa plus jeune sœur qu’il a vue au magasin s’appelle Maggy (Marguerite), ce sont les filles de Jimmy et de Kate, la cousine de sa mère. Elles ont du sang indien tant par leur mère que par leur père et c’est facile de comprendre pourquoi Marie se sentait si bien avec ces gens du lac Clair.
Note:
Le terme "sauvages" pour désigner les indiens n'est pas péjoratif à cette époque. Étymologiquement parlant, le mot sauvage vient du latin silva qui désigne la forêt. Ce sont donc des nomades qui vivent dans la forêt. Le terme "sauvage" a une valeur juridique pour désigner les natifs du pays. Le vrai terme pour désigner une personne native du pays est autochtone. La plupart de nos voisins autochtones sont des Innus. Le terme indien est populaire mais il est fautif puisque c'est une erreur des colonisateurs qui se pensaient rendus en Inde.
Ils viennent du lac Clair et s'installent sur la rue St-Alexis
C’est lors de la préparation pour la procession que Jos l’aborda. Il ne s’attendait pas à ce qu’elle accepte qu’il puisse marcher à ses côtés. Qu’il était agréable, dans ce cortège de fidèles, de marcher si près de celle qui faisait battre son cœur. Les prières de Jos n’étaient pas tout à fait les mêmes que celles des autres fidèles mais il espérait qu’elles soient exaucées.
Que Dieu protège notre amour
Confiant que Marie avaient des sentiments réciproques, Jos a décidé de s’investir de la façon la plus correcte qui soit afin d’être bien accepté dans la belle famille. Il ne voulait surtout pas répéter le mariage « obligé » qu’il avait eu avec Anna, que Dieu ait son âme. Jos n’oubliera jamais son premier amour.
Il a décidé de fréquenter sa belle Marie avec le plus grand respect. Il se présente toujours chez elle entre des heures bien précises en lui apportant un petit bouquet de fleurs sauvages. Il s’habille proprement mais de façon sobre pour laisser à sa demoiselle toute la liberté d’être la plus coquette. Bien sûr, il y aura toujours quelqu’un en présence de leur fréquentation, sa sœur ou sa mère. De cette façon, il espère bien être présenté officiellement à la famille afin qu’il puisse faire sa grande demande.
T'es donc bien fin, Jos!
Malgré son travail en ville et au chantier l’hiver, Jos fréquente aussi souvent qu’il le peut sa Marie. Il la respecte énormément. Si bien que l’année suivante, le 10 août 1903, Marie porte une magnifique robe blanche pour son mariage avec Jos. Il a 27 ans et elle en a 18. Elle est charmée par cet homme, droit, doux et fort. Elle a une grande confiance dans la vie, et elle en aura besoin pour devenir la mère d’Épiphane, 3 ans et de Blanche Anna, 2 ans.
La robe de Marie portée par une mannequin
La nouvelle famille s’installe dans une maison pas loin du magasin du beau-père et dans le chemin passant qui mène à la traverse. D’ailleurs ce chemin s’appellera plus tard la rue de la Traverse. Jos a toujours de l’ouvrage. Il y a de la construction un peu partout. Il aurait bien aimé partir en voyage de noces à Québec avec sa belle Marie mais prendre le bateau est en dehors de son budget. Prendre le parc de la Galette en carriole est impensable. Dommage, il aurait bien aimé assister à la cérémonie du pont de Québec.
Le patelin de Jos et Marie près de la traverse
Aparté : le pont de Québec
On se souvient, qu’il y a deux ans, en 1901, on a annoncé qu’il fallait un lien entre les deux rives à Québec, on parle d’un premier lien. C’est le 2 octobre que Sir Wilfrid Laurier, premier ministre du Canada, la guedoune à Victoria, devant une foule de badauds, pose la pierre angulaire du pont de Québec.
Sir lui-même
L’histoire se répète car, aujourd’hui jour pour jour, le 2 octobre 1903, Sir Wilfrid Laurier, fidèle à lui-même et à sa défunte reine Victoria, préside la cérémonie lors de laquelle, il pose la première pierre d’assise du pilier de la rive nord. La pierre angulaire, qu’il avait posée il y a deux ans, n’était qu’un leurre pour s’attirer des votes des gens de Québec. Il est fort probable que ces gens ne se feront plus prendre à ce jeu de poisson. Pour l’occasion, il est assisté par son bon chum, le maire de Québec, monsieur Simon-Napoléon Parent, élu chef du parti libéral du Québec et premier ministre du Québec le jour suivant la pose officielle de la fameuse pierre angulaire. Un chum, c’est un chum. Lui aussi, il était le téteux provincial de la reine Victoria.
Deux bons amis pour un pont
Pour la circonstance, d’autres dignitaires (des liche-cul) sont apparus avec une magnifique truelle en argent pour que Wilfrid puisse étaler un peu de mortier sur la pierre d’assise. La truelle a été fabriquée par le bijoutier Cyrille Duquet de Québec, celui-là même qui a inventé le "téléphone français", le combiné téléphonique, qu'Alexander Bell lui a volé.
J'espère que monsieur Duquet a été bien payé pour ce travail d'orfèvre
C’est ainsi que débute la construction du pont de Québec sous la direction de l’ingénieur américain Theodore Cooper. Malgré qu’il soit déjà maire de Québec, chef du parti libéral provincial et premier ministre de la province, Parent devient président de la compagnie responsable de la construction du pont de Québec. Quand on dit qu’une compagnie est responsable, ça ne veut pas dire que le président le soit. « Nous l’allons montrer tout à l’heure », comme dirait Jean de La Fontaine dans sa fable Le loup et l’agneau.
Nous l'allons montrer tout à l'heure
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