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2024-01-26-La grande histoire-Une naissance et une mort-première fois

La vie s’écoule doucement pour Jos et Anna. Le dernier été du 19e siècle se termine, la petite Evelina profite bien et fait le bonheur de ses parents. Elle est âgée de 6 mois quand Anna annonce une bonne nouvelle à Jos. Il sera père pour une deuxième fois. Le bébé devrait arriver au mois de mars tout comme Evelina, l’année passée. Jos et Anna sont comblés de bonheur et savourent la chance qu’ils ont.

 

Évelina est de plus en plus éveillée et charme ses parents. Anna a un beau ventre et sa grossesse se poursuit admirablement. En novembre, Jos discute avec Anna et sa belle-mère pour convenir d’un commun accord qu’il serait souhaitable pour lui qu’il retourne dans le bois, tout comme l’an passé, pour augmenter les maigres revenus de la famille.

 

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Tout va très bien, n'est-ce pas, Evelina?

 

 

Et c’est ainsi qu’au début de décembre, il reprend le train qui l’emmène au Lac Bouchette pour bûcher dans le chantier de monsieur Jalbert. La neige tombe abondamment et le travail est difficile mais Jos est jeune et fort. Il manie fort bien le godendart ce qui lui permet d’obtenir une bonne paye. Chaque billot est mesuré et la paye est proportionnelle au volume de bois abattu. Son acolyte profite évidemment du même salaire puisque les bûcherons sont toujours en équipe de deux.

 

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Les bûcherons

 

Après sa journée de travail, Jos se joint aux autres pour un copieux souper à la cantine. Ensuite il gagne sa couchette et pense à Anna et son bébé. Ses nuits sont souvent perturbées par des inquiétudes. Son éloignement et son impuissance le rend anxieux. Les communications avec le village de Saint-Jérôme sont quand même assez bonnes puisque le train fait le trajet une fois par jour. Il lui arrive de recevoir une lettre d’Anna qui lui confirme que tout va bien à la maison ce qui le rassure pour un certain temps.

 

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C'est moderne, le courrier arrive vite.

 

Le 20e siècle est arrivé. 1900 sera-t-elle une belle année, un beau nouveau siècle? On se le souhaite ardemment. Comme l’an passé, le congé de trois jours au mois de février arrive. Jos prend le train et fait ses adieux à ses compagnons. Il ne reviendra pas car sa femme va accoucher et il restera avec elle. Quelle joie de revenir à la maison. Anna l’accueille avec son plus grand sourire et son plus gros ventre. La petite Evelina est dans les bras de madame Larouche et à la vue de Jos, elle réfugie son visage dans le cou de sa grand-mère. Elle ne reconnait pas son père et c’est bien normal après deux mois d’absence et une longue barbe de bûcheron.

 

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C'est pas la bonne photo mais c'est ressemblant.

 

 

La vie de famille reprend vite et elle est agréable. Jos s’amuse bien avec la petite. Elle rampe agilement sur le plancher à la recherche de tout objet suscitant sa curiosité. Elle se hisse debout près d’une chaise, perd pied et tombe mollement sur le plancher. Elle pleure non pas de s’être fait mal mais probablement de colère ou peut-être d’orgueil. Jos sourit, la console et la peine est vite effacée.

Anna a maintenant une bedaine bien grosse. En mettant affectueusement ses mains dessus, Jos sent le bébé bouger. C’est quand même toute qu’une sensation pour lui de sentir la vie dans le ventre de sa bien-aimée. Il ressent sa fierté de père et c’est quand même un petit miracle d’engendrer la vie.

 

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La vie

 

 

D’ailleurs le temps de la délivrance approche et il faut se préparer à l’accouchement et au baptême. Pour le parrain, ce sera Ferdinand Villeneuve, un cousin, fils de la sœur aînée du père d’Anna qui demeure tout près. Pour la marraine, ils ont choisi Lydia, la petite sœur de 18 ans de Jos et qui, d’ailleurs, est partie de Valin et vient d’arriver par le train pour donner un coup de main à la famille pour ce grand événement.

 

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C'est sérieux être parrain et marraine.

 

 

Et la naissance ne tarde pas. Le travail est commencé et les contractions se font régulières. Jos se précipite à l’écurie pour atteler le cheval à la calèche. La sage-femme ne demeure pas trop loin. Pendant la nuit du 14 mars, Anna, aidée de Lydia et de la sage-femme, accouche d’un petit garçon plein de vigueur qui crie son envie de vivre. Anna est fatiguée mais moins que lors de son premier accouchement. Elle se repose avec son petit près d’elle alors que Jos faisant les cent pas dans la cuisine, apprend qu’il a un descendant. Un sourire s’imprime sur son visage et il s’enorgueillit de fierté.

 

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Tout est dit

 

 

Au matin, il faut se dépêcher de le faire baptiser afin qu’il soit accueilli par la religion catholique. Malheur, le curé du village est cloué au lit et n’a même pas été capable de célébrer sa messe de 6 heures. Il n’y a pas de temps à perdre. Jos va demander le taxi à la gare de train pour l’amener avec le parrain et la marraine à Saint-Gédéon, le village voisin. Le taxi arrive juste avant le dîner et on installe Lydia avec le poupon et Jos à l’arrière. Le parrain s’installe en avant avec le chauffeur. Le voyage dure environ 45 minutes.

 

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Faut-il laisser une pourboire?

 

 

Le curé Joseph Paradis est prêt et il baptise le bébé naissant du nom de Joseph Épiphane Desmeules. Après la rituel, le bébé s’endort dans les bras de sa marraine. Jos est maintenant soulagé et enfin les trois peuvent signer le registre de l’église.

 

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Le registre de naissance de Saint-Gédéon

 

De retour à la maison, madame Larouche avait cuisiné un beau gâteau de fête pour Evelina. Il ne faut quand même pas oublier qu’elle fête son premier anniversaire de naissance le jour même de la naissance d’Épiphane Quelle coïncidence, quand même qui se répétera deux générations plus tard pour Côme né la même date que Gisèle, deux enfants de Ti-Jos, fils de Jos. Comme on dit toujours, l’histoire se répète.

 

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 Complicité et rivalité du 19 décembre

 

 

Le printemps s’annonce, les jours sont plus longs, les rayons du soleil se font plus ardents. Le petit Épiphane égaye toute la maisonnée et Evelina se tient debout accrochée à la jupe de sa mère ou à une chaise de cuisine. Elle est sur le point de faire ses premiers pas. Mais elle ne les fera jamais. À la mi-avril, elle devient fiévreuse. Elle ne mange presque plus. Ses yeux vitreux sont toujours larmoyants. Elle est très malade. On a appelé un médecin qui est venu l’examiner. Malheureusement, ses connaissances sont limitées et n’a pas beaucoup de remède à prescrire sauf un tout nouveau médicament, qui vient juste d’être breveté, appelé Aspirine et recommandé pour diminuer la fièvre et la douleur.

 

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Nom déposé en Allemagne par Bayer

 

 

Malgré cela, Evelina dépérit de jour en jour. Le 20 avril, elle n’est même plus capable de pleurer. Sa respiration est difficile et ses yeux sont de moins en moins ouverts. Ça fait déjà trois jours qu’un cierge est allumé en permanence devant une image de la Vierge Marie. Le soir venu, alors que toute la famille est couchée, Jos s’installe près de la couchette d’Evelina qu’il a déménagée près du poêle. Anna, épuisée par la peine, essaie de se reposer afin de pouvoir allaiter bébé Épiphane. De temps en temps Jos met une bûche dans le feu pour essayer de conserver une température constante dans la maison. Il veille dans sa chaise berçante en écoutant la respiration de sa fille. Il s’assoupit de temps en temps.

 

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La prière reste le seul espoir

 

 

Elle se réveille en pleurs, sans cris, des pleurs étouffés, des sanglots affaiblis. Jos la prend dans ses bras, la colle sur sa poitrine. Il sent ce petit corps brûlant au travers de sa camisole de laine. Il la berce pour l’apaiser et après de longues minutes qui déchirent le cœur du père, elle finit par s’abandonner au sommeil, épuisée. Des larmes coulent lentement des yeux de Jos. Il continue de la bercer regardant sa petite fille hoquetant. Il regarde le cierge allumé sur la commode éclairant l’image de la Sainte Vierge Marie portant, elle aussi son enfant Jésus dans ses bras. La flamme qui vacille semble donner vie à Marie alors que la vie d’Evelina la quitte. Sa respiration est de plus en plus lente.

 

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Laisse les couler, Jos.

 

 

Jos arrête de se bercer, il regarde son enfant  et écoute son dernier souffle. Jos s’abandonne à pleurer à chaudes larmes reniflant bruyamment. Dans la chambre, Anna lâche un cri qui se termine par un râle.

À bout de larmes, Jos se lève, dépose Evelina dans sa couchette, la regarde une dernière fois et la recouvre soigneusement d’une couverture. Délicatement, il remonte le rebord de la couverture sur la tête d’Evelina et étouffe un sanglot. Il se dirige vers le cierge, souffle la flamme. La prière n’a pas été exaucée. Il va rejoindre Anna dans son lit, l’enlace et sans un mot, il la réconforte de son étreinte. En partageant leur peine, elle semblera moins lourde.

 

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Peine partagée

 

Le lendemain, Jos se rend chez le croque-mort avec la dépouille de sa fille. On la place dans un petit cercueil de pin blanc et avec un témoin, il signe le registre de l’église qui a enregistré l’acte d’inhumation. Evelina, 13 mois, repose maintenant dans le cimetière de Saint-Jérôme, Metabetchouan.

Jos et Anna sont dévastés. La mort frappe et elle est injuste. Comment des parents peuvent-ils se remettre de la perte de leur petite fille, si pleine d’entrain, si souriante, si attachante.

 

Malheureusement, et ce n’est pas une consolation, un enfant sur quatre meure en bas âge à cette époque. On dit qu’un enfant a moins de chances de vivre une année qu’un vieillard de 80 ans. Quelle maladie a donc souffert la petite Evelina? C’est un mystère. Aujourd’hui, on peut penser que c’était une entérite secondaire, maladie infectieuse causé par du lait de vache contaminé. Lors de la traite des vaches, l’hygiène était déficiente et pouvait causer cette maladie par le biberon « meurtrier ».

 

Aussi terrible que cela puisse être, la vie doit continuer. Le petit Épiphane a besoin de ses parents. Accablé mais courageux, Jos doit se relever rapidement et encourager sa belle Anna. Les jours passent et le deuil se fait lentement. Le nouveau bébé a besoin de soins et il représente la vie qu’il faut poursuivre. Il est la motivation pour les parents afin de passer l’épreuve.

 

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La vie doit continuer

 



26/01/2024
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