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2013-11-21-Lagrande histoire-Charles, le premier canadien

Maintenant que la guerre est terminée, la vie est beaucoup moins inquiétante pour Joseph et surtout pour Catherine qui a enfanté dans des conditions stressantes. Ses deux premières filles sont mortes alors qu’elles n’étaient que de toutes jeunes enfants. Ses deux filles actuelles, Marie-Josephte et Angélique semblent avoir une santé meilleure. La vie est heureuse pour la famille Demeulle. Catherine est enceinte la plupart du temps et Joseph pourvoit à son bien-être par les revenus que son nouveau métier de forgeron lui procure.

 

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Le bedon rond de Catherine

 

Leur sixième enfant vient au monde le 3 octobre 1724. Joseph a 39 ans et Catherine 37 ans. On lui donne le nom de Charles. Il faut comprendre que Joseph est français et ce prénom est très répandu chez les rois de France. Il avait pensé à Charlemagne mais Catherine trouvait qu’il y avait trop de syllabes. Déjà dans son berceau, il se distingue des ses trois autres frères. D’abord, il est roux et en plus il serre les poings comme un boxeur. Joseph n’est pas inquiet de sa paternité car il n’y a aucun Irlandais qui traine dans les environs. Il faut dire que sa belle-mère Madeleine est rousse et très autoritaire.

 

C’est lui notre premier ancêtre canadien français de souche.

 

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De la distinction dans son costume rose

 

Charles grandit à St-Jean de l’Île d’Orléans avec ses parents, ses frères et ses sœurs. Il est plutôt solitaire préférant s’aventurer dans les bois ou sur les rives de l’île alors que ses frères s’adonnent à des jeux guerriers avec les amis du voisinage.

 

Alors qu’il n’a qu’une dizaine d’années, il apprend les rudiments de la pêche avec un vieil indien; pas celui qui a montré à son père à marcher avec des raquettes, mais il vient de la même tribu.  Son nom est Bitchouwatibi qui signifie « petite-rivière-fougueuse-qui-coule-entre-les-rochers-pointus-avant-de-grossir-les-flots-de-la-mer-à-son-embouchure-où-le-poisson-est-gros » mais on le surnomme Bibi pour faire plus court.

 

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Bitchouwatibi ou Bibi

 

Charles s’amuse ferme à attrapper les anguilles que Bibi prend dans sa pêche. Mais qu’est-ce qu’une pêche? C’est une série de harts (pieux) piqués dans la vase. Ils forment une espèce de barrière dont l’ouverture permet aux poissons d’entrer à marée haute mais dont ils ne peuvent ressortir. Lorsque la marée baisse et que l’eau se retire, il ne reste plus qu’a cueillir les poissons qui se débattent.

 

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Pêche utilisé par Bibi

 

La principale espèce qui foisonne le plus dans la pêche est sans contredit les anguilles. Certaines atteignent deux mètres de long. Alors imaginez la grosseur de la roche lorsqu’il y a anguille sous roche.

 

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Anguille prisonnière de la pêche de Bibi                                Anguille sous roche

 

Mais Bibi (Bitchouwatibi) a d’autres connaissances stimulantes pour Charles. Il lui montre à construire un canot d’écorce. Pendant tout l’été, il construit des canots, mais comme il ne maitrise pas encore la technique, les deux premiers coulent et il revient à la nage.

 

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Canot d'écorce (celui de Bibi)

 

Le dernier finalementi lui permet de quitter son île et d’aller visiter la rive sud du fleuve. Il connait à ce moment là des sentiments de liberté et d’indépendance qui vont l’habiter toute sa vie. Et c’est tant mieux, car avec ses cheveux roux, on se moquait de lui en disant qu’il faisait des canots d’Écosse. Ces pauvres gens ne connaissaient pas la différence entre l’Irlande et l’Écosse.

 

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Charles et son canot en route vers la rive sud du St-Laurent

 

À l’âge de 15 ans, fort de ses connaissances du fleuve et grâce a ses talents de navigateur, Charles forme une petite compagnie de transport en canot. Il embauche trois ou quatre rameurs et transporte différentes marchandises et même des passagers entre son île et la rive. Il va même jusqu’à Québec où la clientèle est très généreuse.

 

Il maitrise si bien le métier, qu’il prolonge même la saison. Il fabrique un canot en bois plus gros et plus robuste auquel il fixe des pièces de métal que son père lui a fabriquées afin de protéger la coque contre le frottement sur la glace. En effet, c’est Charles qui développe ce nouveau moyen de transport appelé « canot à glace ». De nos jours,  le canot à glace est devenu une compétition sportive.

 

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Canot à glace avec ses rameurs

 

Quelques années plus tard, Charles quitte l’île d’Orléans et va poursuivre son commerce vers l’Isle-aux-Coudres.

 

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Voilà notre Île

 

Pourquoi l’Isle-aux-Coudres? Est-ce parce que c’est une des plus belles îles du fleuve? Serait-ce à cause de la gracieuse beauté de ses paysages au pied des grandes montagnes du nord qui la dominent? Ne serait-ce pas à cause des pieux souvenirs qui s’y attachent? C’est sur ses rives que fut célébrée jadis la première messe dite au Canada lors du deuxième voyage de Jacques Cartier en septembre 1535.

 

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La première messe en terre canadienne à Saint-Bernard de l'Isle-aux-Coudres

 

Il est plus probable que c’est son esprit d’aventure qui a poussé Charles à accoster sur la Pointe-de-l’Islette située dans le haut de l’île (à l’ouest, soit du côté de Québec).Quoiqu’il en soit, Charles continue son commerce principalement entre l’Isle-aux-Coudres et Baie St-Paul. La Goudronnerie Royale située sur le rivage de Baie St-Paul lui donne beaucoup de travail. Elle produit du goudron utilisé pour le calfatage des bateaux à partir des pins rouges de la vallée de la rivière du Gouffre.

 

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La Goudronnerie Royale près de la rivière du Goufre

 

Il en transporte beaucoup à l’Isle-aux-Coudres où il est utilisé dans le domaine domestique et pour les bateaux des insulaires. Le goudron et les plumes, supplice moderne, n’a rien à voir avec le commerce de Charles.

 

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Supplice moderne du goudron et des plumes

 

Charles partage sa vie entre les deux endroits jusqu’au jour où elle bascule lors d’une partie de pêche. La Pointe de l’Ilette est un excellent endroit pour la pêche à la ligne. On se sert de sangsues pour appâter le poisson. Alors que Charles remontait sa ligne pour sa plus grosse prise jusqu’à maintenant soit quatre gros éperlans et quatre loches d’un seul coup, il entendit des cris apeurés.

 

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Charles qui sort huit poissons d'un seul coup.

 

En se retournant, il aperçut une jeune fille qui se débattait dans l’eau à quelques verges de lui. Un peu hésitant quand même, car c’était une belle prise, il laissa tomber sa ligne et courut secourir la malheureuse. Il entra dans l’eau jusqu’au cou et agrippa la pauvre paniquée. Il la ramena doucement jusqu’aux rochers d’où elle avait glissé. Sans même le remercier, elle s’enfuit en courant. Charles se demandait bien ce qu’elle faisait ici et comment elle s’était ramassée à l’eau.

 

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Sauvetage périlleux car l'eau est frrrrroide

 

Ce n’est que deux semaines plus tard qu’il la revit alors qu’il déchargeait son canot. Elle était accompagnée de son père qui, malgré son air sévère avec son front ridé et sa pipe fumante, lui tendit la main en signe de présentation. « Je suis Joseph Savard » lui dit-il « et je veux vous remercier d’avoir secouru ma fille ».

 

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Joseph Savard

 

Monsieur Savard lui dit que sa fille était revenue à la maison ce jour là avec ses vêtements tous mouillés et qu’elle n’avait pas voulu raconter sa mésaventure. Mais finalement elle a au moins donné la description de son sauveteur. Il se tourna vers sa fille et lui fit un signe. Elle s’approcha de Charles et lui tendit la main. « Merci de m’avoir secourue » chuchota-t-elle.  « Je m’appelle Sholastique et j’espère que je ne vous ai pas causé trop de souci ». Il pensa à ses huit poissons perdus mais il lui sourit et lui répondit : « Mon nom est Demeulle, Charles Demeulle ».

 

Pendant le mois d’août 1744, la chaleur était au même rendez-vous que Scholastique. En effet, depuis leur présentation, elle est venue souvent à la Pointe de l’Ilette pour partager de brefs mais intenses moments avec Charles. Elle lui avoua que le jour où elle glissa à l’eau, elle se tenait sur le rocher afin de mieux le voir sans être vue. De son côté, il lui avoua qu’il avait hésité longtemps avant d’abandonner ses poissons. Mais non c’est une blague voyons. Il l’embrassa, elle frétilla. Il se remémora le sauvetage.

 

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Son souvenir (il faut imaginer quand même)

 

Ces deux jeunes amoureux, il avait 19 ans et elle 20, ne tardèrent pas à entrevoir la vie qu’en mariage seulement. Un soir de septembre et de pleine lune, il lui demanda de devenir sa femme. Elle accepta, bien sûr, mais elle le prévint qu’il faudrait qu’il fasse la grande demande à son père. Charles est un batailleur et il affrontera le dragon pour délivrer sa princesse du château Savard.

 

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Le dragon (il faut encore imaginer quand même)

 

Mais quelques jours après, il n’a pas eu à batailler et le dragon n’était pas très féroce si bien que plutôt que de délivrer sa princesse, c’est lui qui fut intégré dans la famille Savard. On fixa le mariage au 16 novembre suivant. Il venait juste d’avoir 20 ans et elle 21. Charles accepta de demeurer dans la maison familiale des Savard afin que leur progéniture puisse profiter d’un nid bien douillet.

 

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La famille Savard et leur maison

 

D’ailleurs, l’année précédente, Brigitte, la sœur ainée de Scholastique, s’était mariée avec Barthélémi Thérien et avait laissé une place dans le lit double de la chambre des filles.

 

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Le lit de Brigitte et Scholastique

 

Qui est-elle cette Brigitte? Sa mère, Marie-Josephte Morelle était enceinte lorsque son mari Joseph l’emmena vivre sur l’Île. À cette époque, l’Île est inhabitée. Comme ils sont arrivés tard à l’automne, Joseph Savard construisit une misérable cabane où ils logèrent.

 

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La cabane de Joseph et Marie-Josephte Savard

 

Mais le 21 décembre, la future mère entre en douleur; le 22, à la lever du jour, son mari quitte la cabane afin de trouver une sage-femme. Il monte à bord de son canot et traverse le fleuve jusque sur la rive nord à Baie St-Paul. Pendant trois jours, la pauvre Marie-Josephte restera prisonnière de sa cabane en attendant son premier bébé. Joseph revient enfin avec la sage-femme en cette veille de Noël 1720. La nuit est belle, la neige tombe tout doucement et Joseph, inquiet et nerveux, va dehors fumer une pipe.

 

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Belle et sainte nuit

 

Sur le coup de minuit, il entend les pleurs d’un enfant naissant. La sage-femme fait entrer le père. Dans cette cabane, que Brigitte est charmante, qu’elle est aimable dans son abaissement. Joseph et Marie entourent leur enfant, la première enfant de l’Isle-aux-Coudres. Une truie les réchauffe.

 

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Une truie contre le froid de canard

 

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Joyeux Noël!

 

 

 



21/11/2013
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