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2023-12-08-La grande histoire-Un exil à Saint-Jérome

Ne sachant combien de temps son exil au lac Saint-Jean allait durer, Jos ne pouvait pas quitter la région sans faire ses adieux à sa famille de Valin. En ce temps-là, le Lac, comme on l’appelle, c’est loin et il ne pense pas revenir souvent dans sa région. Alors il s’est projeté un petit séjour d’une semaine avec ses parents, ses frères et ses sœurs. Le Lac, on en parle beaucoup mais peu de gens l’ont vu. Il y va presqu’en explorateur. Il promet, à sa mère, de donner des nouvelles. Il sait écrire et il enverra des lettres par la poste royale, un système très fiable pour faire parvenir des lettres à sa famille.

 

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Ça coûtait 2 cents dans ce temps-là pour

une lettre avec la face de Victoria

 

 

Un matin, il quitte Valin pour se rendre au quai de la Traverse; une première étape. Il arrive tôt au village de Sainte-Anne et avant de traverser la rivière Saguenay pour se rendre à la gare, il en profite pour monter sur le cap Saint-Joseph pour jeter un dernier coup d’œil au village. Du haut de ce cap où est érigée la croix de Sainte-Anne, il peut admirer sa région qu’il est sur le point de quitter. Il a une boule au ventre, c’est certain, mais il a l’impatience et la fébrilité de découvrir d’autres horizons.

 

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Vue du cap Saint-Joseph à Sainte-Anne

 

 

Enfin rendu à la gare de Chicoutimi, le cœur battant, il n’attend pas très longtemps avant de sentir les rails vibrer et apercevoir au loin la fumée de la locomotive qui s’amène. Dans un boucan d’enfer, le train entre en gare. Après que les voyageurs soient tous descendus, les chemineaux dirigent le train au bout de la voie pour le retourner en direction du lac, Chicoutimi étant le terminus.

 

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La gare de Chicoutimi à l'époque

 

 

Un peu plus tard, Jos, avec son billet précieusement serré entre ses doigts, monte à bord du premier wagon. Il se choisit un banc au centre et s’installe pour le trajet. Un sifflet retentit et le train se met en branle. Tout excité, Jos regarde par les fenêtres pour voir défiler le paysage. Lentement, le train se dirige au bassin et lorsqu’il passe sur le pont de la rivière Chicoutimi, il regarde du côté des chutes où il a bûché pendant l’été et rapidement, il regarde du côté opposé pour voir le moulin de Price et la rivière Saguenay, rivière qu’il ne reverra pas de sitôt.

 

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Oui, la petite maison blanche était bien là

quand Jos est passé par là.

 

 

Le train continue sa course à une vitesse vertigineuse. Selon ce qu’on dit, il atteint normalement la vitesse de 55 milles à l’heure (90 km/h). À ce train là, il arrivera en après-midi probablement, dépendamment de la durée des arrêts dans les gares. Justement, le premier arrêt est à Jonquière. Des gens débarquent, d’autres embarquent, de la marchandise est manipulée et après près d’une heure, le train repart. Jonquière est le premier village après Chicoutimi en montant vers le lac. Il a été fondé par Marguerite Belley à l'âge de 62 ans en 1853 sur deux lots de terre sur le bord de la Rivière-aux-Sables que son mari lui a légués à sa mort. Elle venait de la Malbaie et est retournée mourir là-bas, à l’âge de 87 ans.

 

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Marguerite avait du chien, comme on dit.

 

 

Cette fois, il n’y a que la forêt et quelques lacs. Le train atteint sa vitesse de croisière et ce n’est qu’après une heure environ qu’il s’arrête à Hébertville-Station. C’est un petit village perdu dans le bois mais comme la topographie du terrain était favorable pour l’implantation de la voie ferrée on y a installé une gare et on l’a appelé Hébertville-Station pour le différencier de Héberville-village situé un peu plus au sud et qui est traversé par la rivière des Aulnaies.

 

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La gare d'Hébertville-Station

 

 

On se demande toujours pourquoi deux villages du même nom? Au début de la colonisation, la route pour se rendre au lac Saint-Jean était une voie d’eau. Arrivés à Chicoutimi, les voyageurs en canots tournaient dans le bassin de la rivière Chicoutimi et remontaient les rapides en portageant. Ils arrivaient ensuite sur le lac Kénogami et le parcourait jusqu’à la rivière des Aulnaies qui se jette dans le lac. C’est là qu’on a fondé le village d’Héberville.

 

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Hébertville-Village avec la rivière des Aulnaies

 

 

Avec l’arrivée du train, la route pour se rendre au lac est une voie ferrée et passe par l’autre Héberville où l’on a construit une gare, d’où le nom d’Héberville-Station. Et comme normal, les deux voies arrivent au même endroit, à Belle-Rivière. C’est une espèce de banlieue du canton Signay (qui deviendra Saint-Gédéon).

 

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Saint-Gédéon avec le lac bleu en arrière-plan

 

Jos sait qu’il est près du lac, mais il ne le voit pas encore. Après cet arrêt, le paysage devient plus plat. Jos peut voir quelques fermes et des champs de pâturage. C’est à ce moment qu’il l’aperçoit : le lac Saint-Jean. Ce n’est pas un lac comme il en a l’habitude d’en voir. C’est de l’eau en perte de vue. Il ne voit même pas l’autre bord. Vraiment, Jos est impressionné par la majestuosité de l’étendue d’eau. Et le train file à vive allure direct dedans. En arrivant à Belle-Rivière, le train s’approche du lac comme pour le présenter à ses passagers et tourne en un virage serré vers la gauche en direction de Roberval, du moins c’est ce qu’on lui dit.

 

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Belle vue à Belle-Rivière

 

 

Sans s’arrêter, le train continue sa route et peu de temps après, il passe sur le pont de la rivière Couchepaganiche pour finalement s’arrêter à Saint-Jérôme. C’est ici que le voyage en train de Jos se termine. Encore étourdi d’avoir vécu cette expérience exaltante, il prend sa poche de linge et débarque sur le plancher de la gare. Même si la température est un peu fraîche, sans doute à cause de la proximité du lac, il fait beau soleil et Jos est engaillardi.

 

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La gare de Saint-Jérôme avec beaucoup d'activités

 

 

Et maintenant, que faire? Sa tante Exarine (la sœur cadette de son père) ne savait pas vraiment quand il devait arriver, alors il n’y a pas de comité d’accueil. Jos s’informe auprès des gens autour de la gare et comme le monde est petit, presque tous connaissent Exarine, la femme de Thomas-Louis. On lui indique le chemin pour se rendre chez les Villeneuve. Ce n’est pas très loin, en fait, car c’est au centre du village, non loin de l’église. Avec sa poche sur le dos, il arrive après seulement vingt minutes de marche.

 

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L'église Saint-Jérôme, presqu'une cathédrale.

 

Sa tante Exarine l’accueille chaleureusement alors que son oncle Thomas-Louis est à son travail au moulin des Price à l’embouchure de la  rivière Metabetchouan. C’est à cet endroit qu’un jour, on fondera le village de Desbiens. Jos est très heureux de connaître sa jolie cousine Marguerite et ses deux petits cousins. Sa cousine, de cinq ans sa cadette, est très charmante. À vingt ans, le cœur de Jos est très sensible et il s’enflamme facilement. « Elle a le même prénom que ma mère. Ça fait drôle d’y penser ». (Tiré de la chanson Motel Mon Repos de Beau Dommage, 1975).

 

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Jolie, la jeune Marguerite.

 

 

On installe Jos dans la chambre des gars. Il s’acclimate très vite. Il participe aux tâches de la maison et aussitôt qu’il le peut, il cherche du travail dans les alentours. Son oncle lui parle d’une job possible au moulin des Price, mais Jos réplique que le nom de Damase Jalbert l’a attiré à Saint-Jérôme et qu’il aimerait bien travailler pour un canadien-français. Monsieur Jalbert a déjà un magasin général pas loin au centre du village et une fromagerie. Jos s’était déjà renseigné sur ce monsieur lorsqu’il travaillait pendant l’été pour les messieurs Dubuc et Guay. Il sait que monsieur Jalbert vient de Kamouraska et a travaillé à l’expédition et à la livraison de bois en Amérique du Sud. Il est entrepreneur et veut faire de la pulpe pour les journaux.

 

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Monsieur Damase Jalbert lui-même

 

 

Jos se rend au magasin général dans l’espoir de se trouver du travail pour ce monsieur entrepreneur. Malheureusement, il ne peut le rencontrer mais un des ses administrateurs lui répond qu’il y a toujours de l’ouvrage sauf que ce n’est pas vraiment facile. En fait, monsieur Jalbert exploite une scierie au Lac Bouchette.

 

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La scierie Jalbert du Lac Bouchette

 

Le chantier d’hiver pour l’abatage des arbres va commencer bientôt et s’il est disposé à prendre ce travail, il devra se rendre au camp des bûcherons sur les terres environnant le Lac Bouchette. Le chantier commence au début de décembre et se termine le 16 avril à midi pour la fin de semaine de Pâques qui tombe le 18 cette année-là (1897). Il sera logé et nourri avec le dimanche de congé. Il y a un congé de trois jours à Noël et trois jours à la mi-février. Le transport par train est à sa charge. Il accepte sans hésiter en pensant à son père qui a fait la même chose quand il est arrivé à Chicoutimi sur les chantiers de la compagnie Price. À vingt ans, célibataire, téméraire et indépendant comme la plupart des jeunes de son temps, il accepte cette expérience de vie avec bonheur.

 

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Photo affichée dans le bureau de l'administrateur de monsieur Jalbert

 

 

Et l’hiver arrive, et la neige tombe, et le départ pour le chantier est annoncé. Les bûcherons se rassemblent à la gare de Saint-Jérôme. Pour Jos, c’est une autre expérience qu’il aborde avec sa grande curiosité. Il est fort, a une bonne santé et est travaillant. Le train démarre en direction de Roberval. Il longe le lac et Jos s’émerveille toujours de voir cette immensité d’eau. Le train passe sur le pont de la rivière Metabetchouan et il voit au loin la scierie de Price où son oncle travaille.

 

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Arrivée de billots à la scierie de Desbiens

 

 

Rendu à Chambord-Station, il faut changer de train, car ce dernier se rend à Roberval. L’autre train qui le mène à Lac Bouchette, continuera sa route jusqu’à Québec. Il doit attendre presque deux heures avant que le train ne démarre. Heureusement, le trajet ne dure qu’une heure environ et Jos débarque dans ce village beaucoup plus gros qu’il ne le pensait. Monsieur Jalbert y a aménagé un magasin général, des maisons et une imposante scierie qui emploie 150 personnes. Les concessions où Jos va bûcher couvrent près de 150 milles carrés de forêt.

 

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Quelques maisons du Lac Bouchette

 

 

 Laissons Jos passer l’hiver au chantier et démêlons-nous dans tous ces noms de village et de rivière car les noms de saints ont quelques fois été remplacés par les noms indiens d’origine et de nouveaux villages sont nés. Quand Jos arrive à Hébertville-Station, il arrive au Lac Saint-Jean même s’il ne le voit pas. Tous les noms de Saints sont donnés par les soutanes noires de la religion catholique. Le nom du lac est Pekuakami en langue innue. Les Innus sont les autochtones qui habitaient le territoire du Pekuakami et que les européens appelaient les Montagnais. Lorsqu’il passe sur le pont de la rivière Couchepaganiche (ça c’est innu et ça n’a pas changé), il arrive à Saint-Jérôme. C’est un village qui fait partie d’un grand secteur qui s’appelle Metabetchouan (ça aussi, c’est bien innu). Aujourd’hui, Saint-Jérôme s’appelle Metabetchouan. Lorsqu’il passe sur le pont de la rivière Metabetchouan, il est toujours dans le grand secteur de Metabetchouan. À l’embouchure de cette rivière, alors qu’il n’y avait qu’une scierie, un village va se développer et devenir Desbiens. Lorsqu’il arrive à Chambord, il est toujours dans le secteur de Metabetchouan mais dans une paroisse qui s’appelle Saint-Louis. Cette paroisse va devenir Chambord où le train change de bord car en venant de Québec, le train va vers Roberval ou vers Chicoutimi. Et c’est ainsi qu’aujourd’hui, la rivière Metabetchouan ne coule pas à Metabetchouan mais à Desbiens. Vous pourrez le demander à Côme, il a vécu sur le bord de la Metabetchouan lorsqu’il fréquentait le Juvénat des frères maristes.

 


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Le village de Desbiens

 

 



08/12/2023
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