pharamen

pharamen

2019-05-08-La Grande Histoire-Appendice F – Le sonnet

Maudit que je le méprisais le grand Toto. Il devait nous mépriser aussi, nous les boutonneux adolescents. Je me demande toujours ce que je fais ici. Ici, c’est Dominique-Racine. Ici, c’est Chicoutimi. Moi je reste à Chicoutimi-Nord, c’est là que sont mes racines, elles ne sont pas à Dominique. Dominique-Racine, c’est l’école secondaire, ce n’est pas mon école secondaire. La mienne, c’est Eugène-Lapointe. C’est là que mon frère aîné a déjà enseigné. Tous mes amis sont là.

 

Dominique-Racine.jpg

 

Dominique-Racine

 

 

Eugène Lapointe.jpg

 

Eugène-Lapointe

 

 

Je me demande toujours ce que je fais ici. C’est à cause de lui, sûrement. Monsieur, ce frère-là qui est allé se faire germaniser, a fait ses « humanités » voyez-vous? C’est en haut de la gamme, ça. Alors il avait ouvert une porte le vieux frère. Et le deuxième frère, profite de la porte ouverte et s’y engouffre. Et moi? Je pense qu’on ne m’a pas demandé mon avis. Maman a dit : « Tu vas faire comme tes deux frères. Tu vois? Côme, c'est un des premiers de classe, tu vas faire ça aussi ». Oui maman. On ne refuse rien à sa mère.

 

Les humanités, c'est l'étude du grec et du latin qui forge les hommes. Par extension, faire ses humanités consiste à étudier les langues qui ont fait le lien entre les humanités. Ce n’est pas moi qui le dis. En plus, le grec et le latin sont des langues mortes, bel avenir en perspective. Le cours classique, c’est élémentaire. Il faut maitriser la syntaxe avec méthode et ce faisant, la versification nous permet d’écrire de belles-lettres. Par chance et par manque de rhétorique, je pense, le CEGEP est arrivé.

 

latin grec.jpg

 

 

Anciennes? Tu dis? Elles sont mortes.

 

 

Je suis plutôt cartésien. Mais dans ce temps-là, je ne le savais pas. L’avoir su, j’aurais été à Eugène-Lapointe pour étudier les maths, la trigonométrie, la physique, la chimie, les sciences quoi. Ben non,  j’ai 12 ans et je dois traverser le pont Ste-Anne en autobus pour aller étudier du latin pis du grec, pis pi c'est du grec. Alea jacta est. C’est du latin, pis si vous voulez savoir ce que ça veut dire, allez voir Google. Moi j’ai étudié cinq ans pour le savoir. Je n’étais même pas bon. J’avais échoué mes réponds en latin pour servir la messe. Côme, lui, y avait réussi.

 

alea jacta est.jpg

Au moins je pouvais apprécier Astérix

 

 

Me voilà devant le grand Toto. Maudit que je le méprisais. Un grand fendant avec des grandes mains blanches avec rien que des pouces. C’était mon professeur de français. Maudit que je m’emmerdais. Le latin et le grec, je pouvais m’en sortir en apprenant le vocabulaire par cœur. Mais le français, je connaissais ça et je trouvais qu’on écrivait des mots et des mots et des phrases et des pages pour ne rien dire. L’idée, c’était de faire une dissertation sur un texte de Corneille, Racine, Du Bellay, Ronsard, Molière ou sur la Chanson de Roland, Tristan et Iseut et le Malade Imaginaire. Plus la dissertation était longue, plus le grand Toto était content et plus la note était élevée. Mes notes étaient élevées. Mais moi, ce que j’aime, c’est le jeu de mécano et construire des bazous ou des traineaux qui avancent plus vite que les autres.

 

toto.jpg

 

Pas si zéro quand même

 

Le grand maudit Toto, vous le connaissez probablement. Il vient de Falardeau, il a une grande gueule, il est fendant. Vous connaissez « Lance et Compte »? C’est lui. Il a le même prénom que moi en plus. C’est un Tremblay toto, d’où son surnom. Je ne l’aime pas mais je dois admettre qu’il a su se placer les pieds. Oui, Réjean Tremblay de la Presse et maintenant au Journal de Montréal. Il a « droppé »? Heureusement, je pense qu'il ne s’est pas reproduit.

 

Réjean Tremblay.png

 

C'est bien lui

 

Toujours est-il, qu’à l’automne 1968, le grand Toto nous demande de composer un sonnet. Je suis en versification (secondaire 4). C’est la dernière année à Dominique-Racine car après il faut aller au Séminaire. Eurk. Enfin quelque chose de différent, un sonnet. J’ai appris à aimer les langues, je l’avoue, mais je suis toujours cartésien même si je ne sais pas ce que ça veut dire.

 

sonnet.jpg

 

 

Vous voulez certainement savoir c’est quoi un sonnet? Et pourquoi je dis enfin? Enfin, c’est parce qu’un sonnet, c’est un écrit qui répond à certaines règles mathématiques. Le sonnet est avant tout un poème de 14 vers, composé de 2 quatrains, suivis de 2 tercets. Ça commence à être scientifique, n’est-ce pas? Et ce n’est pas fini.

 

Le sonnet a 14 lignes de texte qu’on appelle des « vers ». Les 14 vers sont regroupés en 4 paragraphes qu’on appelle « strophes ». Les 2 premiers paragraphes sont composés de 4 vers qu’on appelle quatrain. Les 2 derniers sont composés de 3 vers qu’on appelle tercets. Si vous êtes bons en maths, on a l’équation suivante :

 

(2 x 4) + (2 x 3) = 14.

 

On pourrait en rester là mais le grand Toto nous a mis au défi de l’écrire avec des rimes, des alexandrins et des césures à l’hémistiche. Moi, les défis, ça me stimule. Alors allons-y.

 

La rime est la finale d’un vers qui a le même son que le précédent. Je vous fais grâce de la rime pauvre, de la rime suffisante, de la riche riche et de la rime richissime. L’alexandrin est un vers de 12 pieds, pas des pieds de roi, mais des syllabes. Un alexandrin a 12 syllabes. Un hémistiche est la 1/2 d’un vers. Pour un alexandrin, l’hémistiche a donc 6 syllabes. La césure est une pause que l’on place à la moitié de l’alexandrin, c’est ce qu’on appelle une césure à l’hémistiche ou une pause après 6 syllabes.

 

Maintenant que le défi a été lancé par le grand maudit Toto, je me mets à l’œuvre avec tout mon côté de mathématicien et j’écris un sonnet en alexandrins. Ah, j’ai oublié de vous dire que pour les 2 quatrains, les rimes sont embrassées de même que pour les 4 derniers vers des 2 tercets. Après quelques jours, nous remettons notre travail au grand maudit Toto qui le corrige en 2 temps et 3 mouvements et après la fin de semaine il nous dévoile ce qui suit avec toujours son air méprisant :

 

« J’ai corrigé vos poèmes et je pense qu’il y en a un qui a triché et qu’il a copié un poème d’un auteur.

Pour en avoir le cœur net et pour le pogner, je vais publier, dans le Progrès-Dimanche, 5 de vos poèmes.

Je suis sûr que quelqu’un va le reconnaître et va le dénoncer. »

 

Le 13 octobre 1968, mon sonnet intitulé « La Nuit » est paru dans le Progrès-Dimanche. On a jamais entendu parler d’une dénonciation. On n’a jamais eu de note non plus. Mais on a eu nos points. Je ne pensais pas que je le retrouverais un jour mais à force de fouiller, je l’ai retrouvé dans les archives du BanQ. Comme il n’a jamais été corrigé et noté, peut-être que Jean-Luc pourra le faire. Il n’est pas parfait. Je parle de mon sonnet pas Jean-Luc. Le voici :

 

nuit.jpg

 

La nuit

 

Les étoiles scintillent comme des diamants.

Dans la noirceur du ciel, la beauté de la lune

Est alors éclatante. Sans avoir de rancune,

Le soleil s’est enfui vers d’autres firmaments.

 

Le petit vent frisquet vient momentanément

Rafraîchir l’atmosphère. Une paix opportune

Vient tout à coup régner. Alors sans crainte aucune,

La terre fatiguée s’endort profondément.

 

La nuit est si tranquille, que dans cette noirceur,

Aucun bruit ne dérange le calme familier

Qui est si reposant. Dans cette profondeur

 

De la nuit si paisible, l’univers tout entier

Parait être plongé dans un sommeil flatteur.

La nuit, c’est la nature qui sommeille en douceur.

 

1968-Sonnet La Nuit-b.jpg

La page 32 du Progrès-Dimanche du 13 octobre 1968

 

 

1968-Sonnet La Nuit-Zoom.jpg

 

La vue agrandie



09/05/2019
17 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 63 autres membres