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Le 18 novembre 1796, trois semaines après son mariage, Constance a eu 14 ans. Et pour elle, "les Anglais n'ont pas débarqués". Cette expression voulait dire qu'elle n'avait pas eu encore ses menstruations. Comme on le sait, l'uniforme des soldats anglais était rouge.

Les Anglais n'ont pas débarqué.

Belles fesses, Constance.

C'était encore une enfant et Constance s'occupait de Constance comme si c'était une de ses filles. Et l'hiver arriva, et le temps des fêtes passa, et le 31 janvier 1797 à Lichtenthal, Franz Schubert arriva au monde. C'est un compositeur de musique autrichien qui a fait sa marque avec l'Adagio notturno D. 897. Faisons un saut dans notre temps et écoutez cette version: https://www.youtube.com/watch?v=L4c3p2UgHfY.

Franz, si cette mélodie reste inachevée

Comme on le sait, toute l'Île est concédée et Joson n'entrevoit pas la possibilité d'y fonder une famille avec sa jeune épouse. Avec ses parents, il est convenu de continuer sa vie de marin. En attendant la saison nouvelle, il poursuit son travail dans l'entreprise familiale: la production de l'Aquavit et de l'alcool fin.

Un bon pti-boire

Pendant la nouvelle saison de navigation, Joson s'acoquine avec un armateur de Québec, Pierre-Charles Le Sueur, qui fait du commerce dans le fleuve St-Laurent. Le Sueur envoie deux bateaux par année aux îles St-Pierre et Miquelon pour les fourrures destinées à la France et autres victuailles notamment le goudron, le fer et les patates. Comme le commerce de l'alcool est sous contrôle du monopole de la  St-Roc distillery au Canada, il est moins risqué de vendre de l'alcool à St-Pierre et Miquelon appartenant à la France. On pourrait croire que les iles St-Pierre et Miquelon sont au Canada d'après leur localisation mais il n'en est rien.

On est loin de la France !

En fait, les forces britanniques présentes en Nouvelle-Écosse attaquèrent les îles en 1778 et déportèrent la population, y compris des réfugiés de la déportation des Acadiens de 1755. L'archipel est cependant à nouveau rendu à la France lors du traité de Versailles (1783). Lors de la Révolution française, la communauté acadienne quitta subitement l'île de Miquelon pour se réfugier aux Îles de la Madeleine.

Ah oui, là je vois bien les Îles de la Madeleine

et la Nouvelle-Écosse

Depuis ce temps, St-Pierre et Miquelon, pourtant collés au sud de Terre-Neuve, sont bien des îles françaises et non canadiennes. C'est ainsi que l'alcool fin fabriqué par Joson sur l'Isle-aux-Coudres avec les patates à Jean-Marc s'est retrouvé chez les français de St-Pierre. Par la suite, l'histoire nous dit que cet alcool s'est vu attribué le nom tout simple de St-Pierre.

Un ptit coup de St-Pierre, les filles ?

Les iles françaises ont eu un certain rôle lors de la prohibition de l'alcool aux États-Unis de 1919 à 1933, puisque du fait de son statut de colonie française, la loi américaine n’y est pas applicable. Les différents alcools étaient acheminés clandestinement sur les côtes canadiennes et américaines par des vedettes rapides (rhum runners) construites au Canada. Ce fut l'époque des bootleggers. Le plus célèbre d'entre eux fut sans contredit Al Capone, le chef de la mafia de Chicago. Il fut inculpé en 1931 et envoyé dans la prison d'Alcatraz à San Francisco en Californie.

C'est bien la France

Ça c'est un rhum runner

Lui, c'est Roadrunner

Et lui, c'est Al Capone

Par un drôle de retour des choses, le commerce du St-Pierre est revenu dans notre famille. Un époux dont nous tairons le nom pour ne pas entacher sa réputation, a arrondi ses fins de mois grâce à ce commerce. C'était l'année d'l'amour, c'était l'année d'l'Expo.

Qui s'en rappelle ?

C'était dans ce temps-là

On peut dire que les trois années qui suivirent son mariage ont été très florissantes pour Joson. La fabrication de l'alcool fin pendant l'hiver et sa distribution à St-Pierre et Miquelon par l'entremise de Pierre-Charles Le Sueur rapporta gros aux deux acolytes. Au terme de cette période cependant, la carrière de marin de notre aïeul pris fin pour deux raisons: d'abord la première et ensuite la deuxième ou vice et versa. Une de ces raisons est que le capitaine Sivrac a accepté une offre de naviguer pour la firme Lymburner & Co. qui exploite une entreprise de pêche très lucrative sur la côte du Labrador. L'autre raison est que Constance est enceinte. Enfin, à 16 ans, lors de la fête du solstice d'été, par une belle soirée d'été, les jeunes gens ont commencé un autre projet: la famille.

Ce fut un beau solstice !

Cette fête du solstice se fait le 24 juin et n'est pas encore la fête des Québécois. Ce n'est que le 24 juin 1834 qu'est chanté pour la première fois le Ô Canada! mon pays, mes amours de George-Étienne Cartier.  Cette chanson ne doit pas être confondue avec le Ô Canada, qui est aujourd'hui l'hymne national du Canada. C'est à partir de cette date que la fête nationale des anciens Canadiens en vient à correspondre avec la fête catholique de Saint-Jean-Baptiste, déjà bien ancrée dans la tradition.

George-Étienne Cartier, le compositeur

C'est donc à la fin de la saison de navigation 1799 que Joson quitte son métier de marin et quitte l'Isle-aux-Coudres avec sa femme pour aller vivre sur le continent. Ses adieux à ses frères de la marine furent remplis d'émotion. Ce fut une belle fête sur La Madeleine, ancrée dans le mouillage des Français à quelques encablures de l'Isle-aux-Coudres. Joson fournit l'Aquavit à tout le monde. Les marins sont des artistes. Il y en a un qui s'est mis à jouer de l'accordéon, un autre s'est mis à chanter. À la fin de la soirée, un de ses amis remis à Joson une aquarelle qu'il avait fait lui-même et qui représentait Joson, le marin. Cette œuvre d'art a été conservée précieusement sur l'Île et c'est dans une brocante que l'habitant actuel, Jean-Luc, fier descendant de Joson, l'a retrouvée. Elle est maintenant à Terres-Rompues, l'endroit le plus nordique où Joson s'est rendu par voie de mer.

L'aquarelle en question,

exposée à Terres-Rompues

C'est à la fin du mois de septembre que Joson et Constance, alors enceinte de 3 mois, montèrent à bord d'un petit bateau faisant la navette sur la côte pour se faire débarquer à Pointe-au-Pic. Cet endroit, Joson l'avait déjà repéré lors de ses nombreux voyages. Le bateau pouvait facilement s'approcher à cause de la bonne profondeur d'eau au contraire de la rivière Malbaie avec ses haut-fond de vase et de roches. En 1608, Champlain, trouvant mauvais ancrage au pied du Cap-à-l'Aigle, donna le nom de «Male baie», à la baie, qui devint avec le temps "Malbaie".

La Male Baie, pas facile d'y mouiller l'ancre

Les jeunes gens avaient pu se faire octroyer une terre dans le secteur Murray Bay, selon les règles qui prévalaient lors du régime français. Pendant qu'ils défrichaient la terre, les Desmeules pouvaient loger chez des amis venant de l'Isle-aux-Coudres et établis depuis un peu plus d'un an déjà.

Eux, ce sont les parents des amis de Joson et Constance

et une vieille matante venue en visite.

Nous sommes à la naissance de Charlevoix. Cette région se situe presque totalement en milieu laurentien sauf l'Isles-aux-Coudres, rattachée aux Appalaches. Deux sites de peuplement s'imposent davantage: celui de la vallée de la rivière du Goufre et les environs de la vallée de la rivière Malbaie. On connait déjà le site de la rivière du Goufre, car c'est Baie St-Paul et même si elle possède déjà une certaine population pour le goudron et les bois de matage, le peuplement est modeste avant 1800.  Ce n'est qu'au milieu du XIX siècle que ça se peuple.

En rose, les Laurentides, en brun, les Appalaches,

la ligne rouge, la faille de Logan.

L'Isle-aux-Coudres est juste sous la ligne rouge.

L'Isle-aux-Coudres et Baie St-Paul 

Avant la conquête par les anglais, il y avait la seigneurie de la Malbaie. Mais elle n'était pas très florissante. Seule, l'Isle-aux-Coudres était prisée pour le développement. Après la conquête de 1759 par les anglais, soit en 1762, et peut-être pour les remercier d'avoir tué notre aïeul Charles, deux officiers écossais, ayant notamment servi lors de la bataille des Plaines d'Abraham, John Naime  et Malcom Fraser, reçoivent du général James Murray, les terres de la seigneurie de la Malbaie. Ils se partagent le territoire et forment la seigneurie Murray Bay et la seigneurie Mount Murray situées respectivement à l'ouest et à l'est de la rivière Malbaie. Ainsi, Cap à l'Aigle est à Mount Murray et Pointe au Pic, St Iréné, Cap aux Oies sont à Murray bay.

La Malbaie, Pointe-au-Pic et Cap à l'Aigle

La seigneurie de La Malbaie verra s'établir pour la première fois une population durable. Les officiers octroient des terres à des colons selon les règles qui prévalaient lors du régime français, mais la population reste peu nombreuse; à peine 200 à La Malbaie et environ 3000 dans la micro-région composée de Baie St-Paul, des Éboulements, de L'île aux Coudres et de Petite-Rivière. Quarante ans plus tard, cette population triple, se chiffrant à 8385 âmes en 1831, La Malbaie accaparant environ le tiers de ces gains. Et Joson vient s'établir à Murray Bay (Pointe-au-Pic).

Joson et Constance ne se préoccupent pas trop de ces choses là. Pour eux, l'important est de se construire une maison pour accueillir le premier enfant à naitre. Mais nous sommes un peu tard dans la saison et on sait bien que de commencer à construire une maison à l'automne, il est peu probable d'y demeurer dedans pour l'hiver. Parlez-en aux deux descendants Desmeules établis sur l'Isle-aux-Coudres. C'est pour cette raison que pour le bien-être de tous, Joson et Constance retournèrent passer l'hiver chez les parents.

Pas encore de maison, mais c'est beau Pointe-au-Pic

Question quiz: le soleil est levant ou couchant ?