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2022-11-11-La grande histoire-Le feu de Québec, Metabetchouan et le buck.

Alors qu’il est âgé de cinq ans, pepére Desmeules a le bonheur d’accueillir sa troisième sœur, Lydia, la cinquième enfant de la famille. Elle est née le 23 mars 1881. Il se prend tout de suite d’affection pour le bébé. Après que maman Marguerite ait fait la toilette du bébé devant le beau poêle Bélanger, c’est Joseph (on l’appellera pepére Desmeules plus tard) qui est désigné pour la bercer. On lui donne la meilleure chaise berçante et François, l’arrière grand-père, surveille sa quatrième génération.

 

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François, on a besoin de ta chaise.

 

 

Épiphane se prépare pour les semailles. La neige disparait à vue d’œil et le mois de mai s’annonce très chaud. La famille de Valin se porte bien. À Québec, une histoire terrible s’écrit. C’est plutôt Pierre Foursin qui l’écrit. Foursin est un journaliste français qui s’intéresse beaucoup au Canada, principalement à la présence française dans ce pays. Il raconte ses récits de voyage dans la presse et justement, il est en voyage sur le fleuve, en direction de Québec.

 

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Pierre Foursin, lui-même.

 

 

Nous sommes le 8 juin. Accoudé au bastingage de son bateau à vapeur, le journaliste français Pierre Foursin aperçoit une lueur étrange qui jaillit dans la nuit, au détour de l’île d’Orléans. « Québec brûle, et tous ses quartiers étagés en amphithéâtre paraissent embrasés à la fois. Quelle épouvante et quel saisissement ! »

 

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C'est plus qu'une lueur ça, mon Pierre.

 

 

Foursin débarque à Québec au plus fort du brasier qui, à l’est de ses remparts, détruit près d’un millier d’habitations. Québec, la vieille capitale, brûle ! La première ville fondée dans le Nouveau Monde, la plus glorieuse, la plus belle et la plus pittoresque du continent, est consumée. Québec, le berceau de la nation canadienne, seconde nation française. » L’incendie de Québec du 8 juin 1881 naît dans une baraque du faubourg Saint-Jean-Baptiste, au coin des rues Saint-Olivier et Sainte-Marie. Il fait 6000 sans-abri, soit 10 % de la population de la capitale.

 

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Ne cherchez pas la maudite baraque

 

 

Aujourd’hui, le faubourg Saint-Jean-Baptiste s’appelle le quartier Saint-Jean-Baptiste. Il est un des plus vieux quartiers de la ville de Québec situé dans la Cité-Limoilou. Tout le monde connait la rue Saint-Jean? Ben, c’est là.

 

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Elle a bien changé

 

 

Québec, c’est loin de Valin mais Saint-Jérôme, c’est bien plus proche. Noooon, pas Saint-Jérôme du curé Labelle dans le nord de Montréal, on parle de Saint-Jérôme du Lac Saint-Jean. Avec la religion catholique bien installée dans les foyers du Québec, les villages s’appelaient tous par un nom de saint. Redonnons-lui son vrai nom : Metabetchouan. C’est le nom indien de la rivière qui part du parc des Laurentides et qui se jette dans le Piekougami (c’est le vrai nom indien du lac Saint-Jean). Pour ceux qui connaissent le Trou de la Fée, c’est cette rivière qui passe là et qui se jette dans le lac à côté du village de Desbiens. Dans ce temps-là, il n’y avait pas de village de Desbiens. À la place,  c’était la famille Price (encore eux autres) qui avait un établissement, sur la rive du côté est, à 7 kilomètres du vrai village de Metabetchouan.

 

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Près du Trou de la Fée

 

 

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C'est quoi un juvénat ?

 

 

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T'es où, Côme?

 

 

Joseph ne comprenait pas trop pourquoi son père Épiphane était si énervé. Il finit par comprendre que le facteur avait apporté une lettre qui annonçait la visite d’Exarine. C’est qui Exarine papa? C’est ma petite sœur, ta tante du lac Saint-Jean. Elle vient nous visiter après l’été. Joseph était bien content mais il ne s’en préoccupait pas trop. Pour Épiphane, c’était une très bonne nouvelle. La dernière fois qu’il avait vu sa sœur, c’était il y a trois ans quand elle était passée par Chicoutimi pour aller se marier à Metabetchouan avec son beau Thomas-Louis Villeneuve. Les deux arrivaient de Saint-Agnès et allaient s’installer à Metabetchouan où Thomas-Louis allait travailler pour la Price Brothers, comme Épiphane l’avait fait, il y a quelques années, à Chicoutimi. Il était un peu inquiet pour sa sœur qui n’avait que 17 ans et son prétendant 20 ans.

 

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Ne t'inquiète pas trop, Épiphane.

 

Partir de Saint-Agnès sans être mariés, ça faisait jaser dans le village. C’était une bonne raison de partir vivre leur amour dans des contrées lointaines et le Lac Saint-Jean était en plein développement. Ils étaient persuadés qu’ils auraient une vie remplie de promesses.

 

Tel que promis, la visite arriva au début de septembre. L’accueil fut très chaleureux. C’était comme à Noël! Joseph s’en rappelle. Il y avait un gros souper et sa tante Exarine lui avait apporté un cadeau. Il l’a trouvait bien gentille sa matante Exarine. Après le souper, Joseph écoutait avec intérêt la conversation des adultes. On mentionnait beaucoup le nom de Metabetchouan (Saint-Jérôme) et du Lac Saint-Jean. On parlait d’un lac si grand qu’on ne voyait pas de l’aut’bord. Tous les superlatifs étaient employés : le plus grand lac, les plus gros poissons, les plus grandes plages, etc. Joseph, à cinq ans, commençait déjà à rêver d’aller y vivre. Quelle drôle d’idée! C’était très loin parce que sa tante a dit qu’elle avait pris trois jours pour venir chez eux.

 

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C'est vrai que c'est superlatif

 

 

Ensuite, on parla du grand feu de Québec. Sa tante était vraiment attristée parce qu’elle voulait justement aller visiter la grande ville. Épiphane se rappelle de son voyage à Québec mais c’était plutôt facile à partir de Saint-Agnès. Mais de Metabetchouan, c’était presqu’impensable. « Mais non, justement, on peut y aller à partir du Lac » lui dit Thomas-Louis. Entre Québec et Hébertville, il y avait le chemin des Jésuites, un sentier qui permettait aux Jésuites de rejoindre le Lac Saint-Jean pour son évangélisation. Hébertville, tout le monde le sait, c’est la plus vieille ville du Lac Saint-Jean située entre le lac Kénogami et Metabetchouan. « Ben aujourd’hui, mon Épiphane, la voie est carrossable, pis tu peux te rendre à Québec en 40 heures seulement ».

 

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C'est carrossable mais ça prend un maudit bon carrosse

 

 

On n’arrête pas le progrès. D’ailleurs, l’année suivante, en 1882, on y rajouta un embranchement pour se rendre à Chicoutimi qu’on appelait la route 54 et ça, c’est grâce à Monseigneur Dominique Racine et son puissant crucifix. En 1895, on l’appela le « Parc des Laurentides » et en 1948, on a inauguré la route 175 avec des barrières aux entrées qu’on élimina en 1977.

 

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On monte à Québec ou on descend à Québec?

 

Après le départ de la visite de Metabetchouan, la vie reprend son cours à Valin. L’automne passe et les premières neiges commencent à tomber. Les hommes commencent à s’énerver. C’est le temps de la chasse à l’orignal. Joseph assiste à la fièvre de la chasse qui gagne son père et son oncle Luc. Les travaux de la ferme sont terminés, les récoltes ont rempli les réserves pour l’hiver. Maintenant, c’est le temps d’aller chercher la plus succulente des viandes.

 

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Oui mais pas assez

 

On se rappelle que Luc Maltais, le beau-frère d’Épiphane, était un peu jaloux quand ce dernier est arrivé dans la famille. Maintenant qu’il a quitté la ferme pour aller travailler en ville comme journalier, il a oublié cette friction familiale. Bien plus, il est devenu très complice avec Épiphane surtout pour la chasse à l’orignal. C’est une vraie fièvre. À tous les ans, ils partent tous les deux dans le bois, à cette période de l'année, pour essayer d’abattre le plus gros « buck ». Pas besoin d’aller bien loin, le bois est juste à côté de la maison. En fait, ils vont coucher dans un « camp » qu’ils ont construit sur le bord de la rivière Valin juste au pied de la grosse chute. Épiphane a toujours aimé se rendre à cette chute. Même l’été, il s’y rend pour aller pêcher quelques truites. Aujourd'hui cette chute se retrouve officielement sur Google Earth et s'appelle Chutes chez Épiphane Desmeules.

 

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La chute à Épiphane

 

Dans ce temps-là, la chasse à l’orignal est presque nécessaire à la subsistance de nombreux habitants, surtout pendant l'hiver. La viande sert à nourrir les familles. L’orignal, pour ceux qui ne le savent pas, est le plus grand des cervidés et le mammifère terrestre le plus imposant d’Amérique du Nord. Le mâle adulte qu’on appelle « buck » à cause de l’influence des anglos, peut peser de 600 à 800 kilos. C’est pas pire pour un « vegan », il se nourrit de feuilles, de plantes aquatiques et d’arbrisseaux.

 

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Bonjour beau "vegan"

 

Les deux compères ne reviennent jamais bredouilles. Cette année-là ne fait pas exception. Ils ont surpris un beau gros « buck » de 1 500 livres d’après l’estimation de Luc. Le panache avait une belle taille aussi. Épiphane l’a mesuré très précisément avec son « pied de roi » : 63 pouces et quart. Ils ont passé la journée à le mettre en quartiers et à récupérer les abats. Luc est retourné à la ferme pour aller chercher le cheval et un traineau pour transporter la bête.

 

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Les deux comparses

 

 

Joseph était très impressionné de voir la tête de l’orignal. Il a pu aller la regarder pendant quelques jours avant que son père ne la fasse disparaître. Il s’en rappellera encore longtemps de cette chasse. Pendant ce temps, la viande est faisandée et ensuite découpée pour être entreposée au froid.

 

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Joseph, c'est pas très sérieux.

 

 

Et l’hiver s’installe. Le temps des fêtes est agréable. Marguerite en profite pleinement car pour une deuxième fois, elle n’est pas enceinte et peut « swigner de la patte », comme on dit. On bascule dans la nouvelle année 1882 et elle se réjouit de ce congé maternité. Après les deux gros mois de l’hiver, le curé Roussel s’en réjouit moins. Il part en calèche de son presbytère de Sainte-Anne, juste après la messe du matin, pour une petite virée à Valin. Il est accueilli par Marguerite elle-même et avec tous les honneurs liés à sa personne. Malgré tout, il lui sert un sermon très personnel. Épiphane est dans le bois et n’assiste pas à ce sermon. De toute façon, on sait bien qu’il n’est pas en cause; on ne doute pas qu’il fasse son « devoir ». Non, non, il faut que Marguerite se ressaisisse au plus vite.

 

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Le curé David Roussel et Marguerite,

représentés par des comédiens professionnels.

 

 

Et le printemps arrive. Les jours rallongent et le soleil semble augmenter la libido. C’est avec beaucoup d’ardeur qu’Épiphane se remet à la « tâche ». Il sait que Dieu est de son bord. C’aurait pu être épuisant mais c’est plutôt le père François qui s’épuise. Alors que la neige fond à vue d’œil, l’énergie du père fond elle aussi. La chaise berçante grince de moins en moins. À la fin du mois de mai, on le retrouve mort dans son lit. Il avait atteint l’âge vénérable de 93 ans. Il est inhumé le 24 mai 1882 à Sainte-Anne. Une mort s’accompagne souvent d’une naissance. Après la cérémonie, Marguerite va se confesser auprès du curé Roussel : elle est enceinte.

 

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Un membre de la société des vingt-et-uns

 

 



11/11/2022
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