pharamen

pharamen

2016-01-04-La grande histoire-Jean-Marc, le chef de la cuisine

C'est la nouvelle année: 1760. Cécile trouve l'hiver bien long. Elle doit s'occuper de toute une marmaille, la plus vieille n'a que 13 ans et le dernier est aux couches. Charles lui manque énormément. Mais au moins la paix est revenue. Les anglais ne sont pas trop envahissants. Serait-ce à cause de leur roi Georges II ? Ce bon roi d'Angleterre est francophone. Il parle allemand et un peu anglais. C'est un peu surprenant, n'est-ce-pas?

 

 

Georges II.jpg

 

George II

 

La guerre que l'on vient de perdre s'appelle la guerre de la Conquête. Mais sur le vieux continent, la guerre qui y fait rage s'appelle la guerre de Sept Ans. Ils ne le savent pas encore mais elle va se terminer dans 3 ans en 1763. En attendant, les habitants de l'Isle-aux-Coudres sont comme les autres Canadiens, ils sont sous la juridiction militaire anglaise et ce n'est pas très doux.

 

 

La guerre de 7 ans.jpg

 

 

La guerre en Europe

 

Le général anglais Jeffrey Amherst que l'on appelait affectueusement Jeff, devient le premier gouverneur sous le régime de la loi martiale. Il divisa la colonie en trois entités distinctes: Montréal, Trois-Rivières et Québec qui correspondaient aux trois anciens gouvernements. En fait, c'était trois pays différents et il fallait un passeport pour passer de un à l'autre. C'est ainsi que Québec a déjà été un pays.

 

téléchargement.png

 

 Les 3 pays sous le régime militaire

 

En passant, la monnaie d'échange était la livre sterling, la pound, que les anglais ont imposée. Le plus drôle, c'est qu'il y avait un taux de change à appliquer lorsqu'on changeait de pays soit Montréal, Trois-Rivières ou Québec. Elle valait presque deux fois plus à Québec qu'à Montréal. C'est ça un Québec comme pays: la monnaie est forte.

 

 

La poune.jpg

 

La pound anglaise

 

Pendant ce temps, les gens de l'île viennent régulièrement visiter Cécile pour lui prêter main forte. Les uns s'occupent des travaux sur la terre et les autres s'occupent des enfants. Jean-Marc est plutôt indépendant. À 12 ans, il prend son rôle d’aîné au sérieux. Il est très actif et n'hésite jamais à s'occuper des différentes corvées. Que ce soit de rentrer le bois, chauffer le poêle, tirer les trois vaches, nourrir les bêtes et même faire cuire les patates. On le sait, Charles avait développé une abondante culture de pommes de terre si bien que le caveau à patates dans la butte en arrière de la maison était plein à souhait.

 

Glacière.jpg

 

Caveau à patates

 

Jean-Marc est le premier cuisinier de la famille. Il prend plaisir à faire des patates fricassées, des patates jaunes, des patates à l'anguille (faute de saumon sur l'île, l'anguille était le poisson utilisé), des galettes aux patates, des poutines et le fameux gratin coudrier dont il était l'inventeur. Le gratin coudrier, comme son nom l'indique, provient de l'Isle-aux-Coudres. Jean-Marc a eu l'idée de réunir des ingrédients qu'il avait sous la main: les patates, la crème du lait de ses vaches et du fromage Aubin. Ah non, le fromage Aubin ne venait pas de l'Isle-aux-Coudres mais de l'Île d'Orléans, pardon.

 

 gratin coudrier.jpg


Le gratin coudrier

 

En réalité, Jean-Marc connaissait ce fromage par l'entremise de son grand-père Joseph, qui, vous vous en souvenez, demeurait sur l'Île d'Orléans. Joseph, qui était français aimait bien le fromage, la baguette et le vin (ah le vin, rappelez-vous son arrivée à Kébec). Il a découvert ce fromage après qu'il eut réparé la charrette de madame Aubin dont la roue arrière gauche frottait sur le châssis. Pour remercier le charron, madame Aubin donna une petite meule de son fromage à monsieur Demeule. Ce fromage est fabriqué depuis 1635 et depuis ce temps, la recette du fromage Aubin de l'Île d'Orléans s'est transmise de mère en fille jusqu'à la fin des années 1960 lorsqu'on interdit le lait cru. C'est aussi depuis ce temps que ce fromage est à l'honneur sur la table des Desmeules.

 

 

fromage aubin.jpg

 

 Le fromage Aubin de l'Île d'Orléans

 

C'est de cette manière que le gratin coudrier fut la fierté du jeune Jean-Marc qui, ne l'oublions pas, n'a qu'une douzaine d'années. Sa recette lui fut enfirouapée, ce qui veut dire qu'elle lui fut dérobée ou aussi qu'il s'est fait fourré par des marchands de fourrures français. L'expression "enfirouapé" vient d'une mauvaise prononciation de l'expression anglaise "in fur wrapped" qui veut dire "enveloppé dans la fourrure".

 

 

in fur wrapped.jpg

 

In fur wrapped, enfirouaper, se faire fourrer

 

C'est ainsi que la recette a voyagé dans des peaux de castors vers la France dans la région de Grenoble. Réputée pour ses noix et sa Chartreuse, la région se l'appropria sous le nom de Gratin Dauphinois. De là, elle gravit des montagnes où les Savoyards se l'approprièrent également sous le nom de Tartiflette. Bien sûr, on y avait substitué le Aubin par le Roblochon.

 

 

             gratin coudrier.jpg gratin coudrier.jpg gratin coudrier.jpg

 

À gauche, le gratin coudrier, au centre, le gratin dauphinois et à droite, la Tartiflette

On peut y voir une certaine ressemblance sauf pour le fromage

 

Quelques années passent et Jean-Marc continue d'améliorer ses talents culinaires. Si pendant l'hiver, il profite de la basse température pour conserver ses plats, il en est tout autrement l'été. Pour conserver le lait et la viande, il a besoin d'un frigidaire. Mais il n'est pas encore inventé. Lui vint alors l'idée de se servir du caveau à patates. Pendant l'été, l'intérieur du caveau est frais mais pas assez et pendant l'hiver, il est froid mais pas assez pour geler de l'eau. Il décide d'aménager un petit espace du caveau pour le remplir de glace pendant l'hiver. Dans un grand trou sous l'amoncellement de glace, il y range ses denrées. Lorsque l'été revient, il s'aperçoit que la glace ne fond que lentement, de telle sorte qu'en septembre, il en reste encore et ses plats sont bien conservés. Par son ingéniosité, il venait d'inventer la glacière. L'idée fut reprise et bientôt, les habitants de l'île possédèrent eux aussi leur glacière.

 

 

Nouvelle-France_5_1_Glaciere-225x266.jpg

 

Glacière des gens du séminaire, inventée par Jean-Marc

 

On comprend que malgré toutes les corvées que Jean-Marc peut accomplir pour aider la famille, il ne deviendra jamais un cultivateur. La cuisine n'étant qu'une distraction, il est plutôt intéressé par la construction et l'innovation. C'est peut-être pour cette raison qu'il réussit à se faire embaucher pour la construction du premier moulin à vent de l'Isle-aux-Coudres. Il était temps car lorsque les habitants voulaient avoir de la farine, ils étaient obligés de transporter leur grains aux moulins de la Baie-Saint-Paul ou de la Petite Rivière.

 

 

moulin à ven.jpg

 

Moulin de Baie St-Paul

 

Dix ans auparavant les gens du Séminaire de Québec (les seigneurs de l'Île) acquirent un emplacement de François Tremblay. On lui fit une offre qu'il n'a pas pu refuser. On appelle ça une expropriation. L'emplacement était situé à la Pointe de l'Ilette. C'est donc à l'été 1762 que Jean-Marc, âgé de 14 ans, fait ses débuts officiels dans la construction.

Le moulin est construit en maçonnerie. Il est de forme cylindrique dont la muraille mesure 5 pieds d'épaisseur à la base. Comme Jean-Marc n'a pas ses cartes de la construction, il est embauché comme manœuvre pour le transport des pierres. Il travaille comme un nègre ou au noir, l'histoire est un peu imprécise ici. Néanmoins, il développe son sens critique face aux techniques de construction utilisées. En effet, il trouve aberrant de devoir construire un mur de 5 pieds à sa base seulement pour supporter le propre poids du mur.

 

Section_Mur.png

Un mur de 5 pieds à sa base, quelle folie pour Jean-Marc

 

Ses aptitudes en ingénierie commence à le chatouiller. Cette technique de construction d'un mur devant se porter lui-même ne lui sourit pas. Mais nous y reviendrons. La construction du moulin à vent est complétée l'année suivante et c'est le 1 août 1763 que Éole, le dieu grec du vent, souffla pour faire faire les premiers tours "des meules". Encore aujourd'hui, le dernier-né de ma lignée produit de l'électricité en faisant tourner une éolienne à 3 pales dans le vent de St-Bruno du Lac St-Jean.

 

éolienne.jpg

 

Éolienne dans le ciel de St-Bruno

 

 

À suivre...

 

 



06/01/2016
13 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 63 autres membres