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2018-02-12-La grande histoire - Vers Ichkoutimi

Aujourd'hui, c'est dimanche. La journée est magnifique. Le soleil est chaud et le vent est doux. La messe vient de se terminer à l'église de l'Île et tout le monde fait son placotage. Joson ne tient plus en place. Il presse son père et sa mère de venir le reconduire au quai des pilotes. Tous les amis qui viennent d'apprendre la nouvelle accourent vers lui pour le saluer et lui souhaiter bonne chance. Il les remercie, un peu gêné mais voudrait bien se défaire de ces accolades et partir au plus vite. Enfin Jean-Marc ramène toute la famille en carriole jusqu'à la maison. À peine arrivé, Joson court chercher son sac rempli de linges chauds que sa mère lui a préparés. Pendant ce temps, Jean-Marc va chercher une poche de patates qu'il veut offrir à l'équipage. Il faut dîner; Joson n'en peut plus; il n'a pas faim, il veut partir. Marie-Anne gardera les enfants pendant que Constance accompagnera son mari et son fils ainé. Finalement le groupe est prêt. La jument lâche un souffle par les naseaux et le trio quitte la ferme familiale. Jean-Marc ne parle pas, Constance refoule quelques larmes, Joson sourit à ne plus finir.

 

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Plus les roues sont grandes, moins elles tournent vite,

Moins elles tournent vite, plus l'usure est lente.

Cré Jean-Marc !

 

Les Desmeules arrivent au quai des pilotes. Il y a un bon va-et-vient. Des matelots s'affairent à transporter des caisses et des barils et à les mettre à bord des grosses barques (d'où le terme "en-barquer"). Celles-ci se dirigent vers les bateaux au mouillage pour y être déchargées.

 

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Chargement des bateaux

 

Joson cherche le capitaine Sivrac du regard et le trouve finalement près des bureaux de la marine. Il se met à courir dans sa direction et lui crie son enthousiasme. Le capitaine sourit et aperçoit un peu plus loin le père et la mère de Joson qui s'approchent lentement. Les présentations se font respectueusement. Le capitaine Sivrac aborde Jean-Marc en lui exprimant toute l'admiration qu'il porte à son père Charles. À l'époque de la guerre de 1759, il était trop jeune pour l'avoir connu mais son exploit à Baie St-Paul a voyagé sur le bateau de son père. Son histoire a été racontée mainte fois parmi les marins et les gens de Beauport d'où il est natif. Jean-Marc sent qu'il a affaire à un homme de cœur et croit que Joson tombe entre de bonnes mains. Le capitaine le rassure sur la nouvelle vocation que son jeune fils est sur le point d'entreprendre. Il lui dit qu'il en fera un bon marin et un bon travaillant. Il lui demande néanmoins de lui fournir un document signé qui l'autorise à embarquer son garçon. Jean-Claude le lui tend aussitôt. Tout avait été bien préparé sous l'insistance du futur mousse. Le capitaine désigne la barque avec laquelle ils rejoindront le bateau. Après les salutations le capitaine retourne régler des affaires au bureau pendant que les parents font leurs adieux à leurs fils ainé.

 

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J'aperçois le bateau !

 

Après mille conseils, Constance finit par relâcher l'étreinte et le mousse court vers la barque. Il charge ses bagages et monte à bord. Le capitaine le rejoint quelques temps après et sous son ordre, quatre marins se mettent à ramer vers la Madeleine. Joson fait de grands signes de la main à ses parents et semble leur dire:

 

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Mes chers parents je pars 
Je vous aime mais je pars

 

 

Sous le soleil chaud de la fin d'après-midi, Joson monte à bord de la Madeleine. Quel grand bateau! C'est une goélette construite par les gens de sa région et avec le bois de sa région. Il en est fier. Mais sans plus tarder, le capitaine lui montre sa paillasse et lui explique son travail. Rien de compliqué mais tout doit être fait. Première tâche, laver le plancher de la cabine du capitaine. Il en avait bien besoin car il manquait de mousse depuis longtemps.

 

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Il y avait un manque de mousse

 

Ensuite vint le temps de manger. Le repas n'est pas très élaboré, rien à voir avec ceux préparés par son père. Mais à quinze ans, on mange n'importe quoi car la faim est omniprésente. Sur un bateau, il n'y a pas de salle à dîner. Joson part avec son écuelle et va manger sur le pont avec les matelots. Il n'est pas surpris de se voir attribuer une autre tâche: le lavage de la vaisselle pour tous les hommes du bateau.

 

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Écuelle en étain

 

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Ah non ! le lavage de la vaisselle !

 

La nuit est tombée et les matelots commencent la préparation du bateau pour prendre la mer. La marée est à son plus haut niveau. Un léger vent chaud venant de Québec devrait pouvoir pousser le bateau. Sous l'ordre du capitaine, un foc est hissé sur l'étai et l'ancre est remontée. La voile est bordée et le bateau pivote lentement. Le capitaine établit la course à l'aide du compas et le bateau glisse lentement, très lentement vers l'est. La renverse de marée est commencée et la force du courant aide à la progression du bateau. Les manœuvres sont plus difficiles la nuit, mais les hommes connaissent leur métier. La lumière des étoiles et d'un croissant de lune suffit pour éclairer le travail. D'autres voiles sont hissées et le bateau finit par atteindre sa vitesse de croisière. Le capitaine surveille le compas et les quelques feux allumés sur la côte. Après avoir dépassé l'Isle-aux-Coudres, il peut diriger le bateau plus au large et se laisser aller vers Tadoussac.

 

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C'est beaucoup d'étoiles et

un gros croissant de lune

 

Joson réussit à dormir sur le pont jusqu'au petit matin. Le jour se lève sur cette grande étendue d'eau. Le bateau se dirige vers le soleil qui commence à se lever. Il est d'un rouge éclatant. Plus tard, on aperçoit l'embouchure de la rivière Saguenay sur bâbord. À un moment donné, le capitaine fait pivoter le bateau en sa direction. La marée est montante maintenant et le courant aide le navire à remonter la rivière jusqu'à la baie de Tadoussac. Le voyage se termine ici. L'ancre est mouillée, les voiles sont ramassées et le bateau est immobilisé. Sur les rives, on aperçoit les habitations des blancs et plusieurs tipis des indiens. Il est déjà presque midi.

 

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Tadoussac, les indiens et la baie

 

 

Les chaloupes sont mises à l'eau et les marchandises destinées au village sont chargées à bord. Le capitaine est le premier à débarquer pour faire la livraison et le mousse reste à bord du bateau pour faire ses corvées. Le reste la journée permet à tout l'équipage de se reposer. Le départ pour Ichkoutimi est prévu pour le lendemain avant midi. Joson a tout le loisir d'observer les activités au village. Il y a une petite église et quelques bâtisses qui servent de magasins et d'entrepôts. On y voit circuler quelques personnes blanches mais la plus grande partie de la population sont des indiens. La plage est belle, le soleil est cuisant et les enfants jouent dans le sable. Joson n'avait jamais quitté son île. La journée se passe et la nuit arrive bien assez tôt.

 

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Petite église

 

Notre mousse apprend le métier. En fait, il est affecté à toutes les corvées dégueulasses. Ce matin, il devait vider et laver le pot de chambre du capitaine. C'est certain qu'il n'a pas bu de l'eau de rose.

 

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Le pot sur l'eau

 

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Le pot à Trudeau

 

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L'eau de Roses

 

 

Le soleil est déjà haut quand le capitaine ordonne d'établir le foc et la voile d'artimon. Pendant que les matelots attendent l'ordre de border les voiles, deux autres marins remontent l'ancre. Le foc est bordé au maximum et le bateau prend la direction de l'embouchure de la rivière Saguenay. La voile d'artimon est bordée également ce qui améliore la poussée. La progression est très lente sur l'eau mais rendu dans le milieu de la rivière, la marée montante vient augmenter la vitesse. La remontée de la rivière Saguenay est toujours très longue à moins d'avoir le vent d'est. Mais la plupart du temps, ce vent apporte également du mauvais temps.

 

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La carte de navigation de l'époque.

La baie de Tadoussac et l'entrée du Saguenay.

 

Le capitaine Sivrac connait bien le Saguenay. C'est la raison pour laquelle la North West Company lui donne de bons contrats généreux. Peu de temps après avoir quitté Tadoussac, la rivière pénètre dans un majestueux couloir de roc. De chaque côté s'élève des murailles de pierres interdisant toute approche pour mouiller. D'ailleurs la profondeur de l'eau ne permet pas de s'arrêter et d'accrocher l'ancre.

 

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Impossible de mouiller l'ancre

 

 

Pendant que la Madeleine pénètre lentement dans le fjord (ce mot là n'était pas vraiment utilisé à l'époque) profitons-en pour en connaître d'avantage sur les bateaux. La Madeleine est une goélette du St-Laurent. Mais qu'est-ce qu'une goélette du St-Laurent? C'est une goélette. Oui mais qu'est-ce qu'une goélette? C'est un bateau à voile. Bon allons-y plus sérieusement. Un bateau à voile est un bateau qui possèdent des mâts sur lesquels sont rattachées des voiles.

 

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Un bateau à voiles à 1 mât et 1 voile, c'est la base

 

 

Les voiles sont orientées dans le vent par les matelots pour provoquer une poussée sur le bateau lui permettant ainsi de se déplacer sur l'eau. La goélette est un bateau qui a des mâts sur lesquels sont rattachées des voiles triangulaires ou auriques. Auriques, vous dîtes? En fait, aurique veut dire quadrangulaire ou carrée mais pas un maudit côté égal à l'autre.

 

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Une maudite belle goélette !

 

Plusieurs mâts, plusieurs voiles, plusieurs sortes de voiles !

 

 

Les gros bateaux de Jacques Cartier et Samuel de Champlain étaient des 3-mâts et avaient des voiles carrées qui étaient plutôt rectangulaires. Ces bateaux n'avançaient que dans la direction du vent.

 

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Voilier 3 mâts à voiles carrées plutôt rectangulaires

 

Mais avec les voiles triangulaires, les goélettes pouvaient remonter le vent, c'est-à-dire qu'elles pouvaient naviguer jusqu'à 90 degrés avec le vent au lieu d'être poussées dans la même direction.

 

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Bateau à voiles triangulaires

 

Souvent on trichait un peu et on coupait le haut du triangle de la voile qui devenait une voile aurique et on installait une voile carrée qui était rectangulaire au-dessus de la voile aurique. La goélette devenait maintenant une goélette à huniers parce que la voile carrée qui était rectangulaire s'appelait hunier.

 

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Goélette à huniers avec voiles auriques et triangulaires

 

Et la goélette du St-Laurent? Elle s'appelait ainsi parce que les charpentiers maritimes de chez-nous ont modifié la coque des goélettes pour les faire avec un fond plat, ce qui permettait de pouvoir échouer le bateau lorsque la marée était basse. Ainsi le bateau du capitaine Sivrac était une goélette du St-Laurent à huniers à deux mâts. Deux mâts? Mais pourquoi deux mâts? Bien pour un bateau de la taille de  la Madeleine, qui déplace une centaine de tonneaux et qui mesure environ 80 pieds de longueur, deux mâts, c'était bien assez.

 

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La goélette à Syriac devait ressembler à ça

 

Le grand mât d'une goélette est situé vers l'arrière du bateau et c'est le mât d'artimon sur lequel la voile d'artimon est installée. L'autre mât est un peu plus petit et est situé vers l'avant du bateau et c'est le mât de misaine sur lequel la voile de misaine est installée. Pour tenir ces mâts, il faut des haubans. Ce sont des cordages qui partent du haut du mât et qui sont fixés sur la coque. Le hauban du mât de misaine qui est fixé sur le devant du bateau (proue) s'appelle l'étai. On peut y installer une voile qui s'appelle foc. Quand le bateau part de Tadoussac, le capitaine demande d'établir les voiles (on ne dit pas installer sur les bateaux à voile) soient le foc et la voile d'artimon afin d'avoir un contrôle précis de la direction.

 

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Voilà le tout: mât d'artimon en arrière, mât de misaine en avant,

voiles auriques, voiles triangulaires, huniers et coque à fond plat

 

 

Maintenant, retournons à notre navigation. Joson découvre que ce n'est pas très facile de faire avancer le bateau dans le Saguenay. Le courant, même s'il n'est pas si fort, freine la progression. Le capitaine Sivrac est un vieux loup de mer et surtout du Saguenay. Il utilise la marée montante pour diriger le bateau vers les falaises et profiter de l'inversion du courant. Il fait louvoyer le bateau pour se positionner à 90 degrés avec le vent réussit à faire remonter le bateau vers l'amont. Malgré toute l'adresse du capitaine,  faudra 3 à 4 jours pour se rendre à Ichkoutimi. Il mouillera l'ancre près de l'Île St-Louis pour y passer la nuit. Aucune navigation n'est possible la nuit dans ce fjord. Même avec une pleine lune, l'horizon reste noir comme de l'encre (les marins disaient noir comme dans le cul d'un ours).

 

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De Tadoussac à l'Île St-Louis

 

 

Le lendemain, on couchera aux anses du Manitou (Ste-Rose).

 

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De l'Île St-Louis aux anses du Manitou

 

Ensuite il faudra passer Cap-au-leste, juste en face de la Grande Anse (Baie des Ha Ha) et entrer dans la rivière proprement dite pour remonter le courant à la marée montante. Après avoir pointé sur la rivière au Caribou, on ira mouiller en aval de la rivière Pipawitich (Rivière-du-Moulin).

 

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Des anses du Manitou à Terres-Rompues

 

 

La navigation du Saguenay se terminera ici et les matelots pourront se reposer en regardant le soleil se coucher du côté de Shipshaw. Du côté nord, on verra le cap St-François et du côté est, on verra un autre cap (celui du Parasol aujourd'hui). Joson regarde ce cap et il lui semble qu'un Desmeules de sa descendance pourrait y vivre. En effet, mon cousin Robin y est installé depuis un bon bout de temps. Le bateau n'ira pas plus loin. Ichkoutimi est un peu plus loin mais le courant est trop difficile à combattre. On s'y rendra en chaloupes à rames. Le bateau est déchargé de sa cargaison pour les habitants du coin et surtout les trappeurs. Les ballots de peaux de fourrures sont chargés ensuite pour leurs livraison à Québec pour la North West Company.

 

Ichkoutimi, comme dit précédemment, est un nom indien. Les français et colons de l'époque pouvait l'appeler aussi Chik8timich. Dans la langue des indiens, le 8 se prononçait "oui", donc Chicouitimich. Plus tard le nom est devenu Chicoutimi mais sa signification est toujours la même. C'était un poste de traite et il y avait quelques blancs qui y vivaient pour la traite de la fourrure mais c'était avant tout un lieu de rassemblement pour les indiens. Si on ramait un peu plus en amont, on arrivait aux Terres-Rompues, au pied de la rivière Shipshaw. Après Terres-Rompues, les rapides de la rivière Saguenay étaient trop violents pour la navigation. Joson regarde au loin vers Terres-Rompues et il lui semble qu'un Desmeules de sa descendance pourrait y vivre. En effet, j'y suis installé depuis un bon bout de temps.

 

Et la navigation reprend vers Québec...

 

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Terres-Rompues

C'est beau!

 



13/02/2018
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