pharamen

Le grand jour est enfin arrivé : Alexandre Maltais marie sa fille ainée, sa seule fille d’ailleurs. Elle a vingt-deux ans et est donc majeure, ce qui est peu commun à l’époque. En ce jour du 10 février 1874, la température est clémente : il fait juste bien froid pour se rendre au pont de glace et traverser à Chicoutimi jusqu’à la chapelle de Saint-François-Xavier.

Un peu venteux sur le Saguenay,

on voit pas l'aut'bord.

Nous sommes en plein mardi. C’était impossible de se marier avant parce que le curé avait dû s’absenter. Le dimanche, il était débordé à cause de la messe dominicale et un petit bébé qu’il a fallu ondoyer d’urgence. Le lundi? Non, il fallait baptiser la fille à Ovide Moreau. Encore chanceux de se marier le mardi parce que Théophile Morin s’est marié le matin et après le mariage de Marguerite et Épiphane, il a fallu inhumer Marie-Louise Gauthier, suivie de Louise Desbiens et terminer la journée par le baptême Guillaume Blanchet.  Le curé ne savait plus où donner de la soutane.

Fatigué, le pére?

Mais enfin, Épiphane déjà près de l’autel voit arriver Marguerite au bras de son père. Elle est radieuse, tout de blanc vêtue. Le mariage est expéditif car le curé s’agite sans en perdre son latin. Et c’est l’échange des alliances. Marguerite doit faire pivoter celle de son mari en la forçant un peu sur son doigt de travailleur alors que lui n’a qu’à la glisser sur son annulaire délicat. Le curé fait alors le signe tant attendu et Épiphane soulève délicatement la voilette pour lui déposer un baiser victorieux devant l’assemblée.

Victorieux, mon toryeu ?

Vient la signature du registre de l'état civil. Marguerite est la première à signer. De sa main délicate mais assurée, elle écrit son nom avec la plus belle des calligraphies. Sa mère, maitresse d’école avant son mariage, était sévère sur l’écriture. Ensuite c’est Épiphane qui n’a pas cette dextérité mais qui s’applique. Les témoins s’approchent. Il y a Catherine, la cousine de Marguerite. Oui, oui, c’est bien elle : Catherine Maltais, qu'on appelle Kate, la fille de François, le frère d'Alexandre. Sa mère, Alexandrianne Mackenzie est celle qui nous transmettra son sang indien. Ils sont venus de Terres-Rompues où la famille s'est établie pour le travail chez Peter McCleod, père. Et finalement, Simon Tremblay, l’ami d’Épiphane.

Le registre de l'état civil

Il est écrit ce qui suit:

"Le dix février mil huit cent soixante quatorze, après la publication d'un ban de mariage faite au prône de notre ... (trop difficile à lire), nous, prêtre soussigné, avons reçu leur mutuel consentement de mariage et leur avons donné la bénédiction nuptiale en présence de Simon Tremblay, ami de l'époux et de Catherine Maltais, cousine de l'épouse, tous soussignés avec nous, lecture faite.

Marguerite Maltais,

Épiphane Desmeules,

Catherine Maltais,

Simon Tremblay."

Il faut se dépêcher pour retourner à Valin, la noirceur arrive tellement de bonne heure même si les jours rallongent. On mange un petit goûter pour la route et on ne perd pas de temps. Les jeunes sont restés avec pepére François et il faut aller s’occuper des vaches. Ce soir, ce sera la célébration et on pourra se coucher tard. Épiphane  et sa femme sont fébriles; ils se sont promis une nuit complète, eux qui ne se sont jamais permis d’écart de conduite. Mais comment ont-ils faits? La dureté du mental, c’est tout.

Il sont faits forts

À la fin du mois d’avril, Marguerite se sent différente. Elle a quelques fois de petits maux de cœur et elle comprend bien qu’elle est enceinte. Elle attend encore un bon deux semaines avant de l’apprendre à Épiphane. Cette nouvelle embellit encore plus le mois de mai et le futur père est tout heureux de la partager à toute la maisonnée. Moi-même je suis très heureux de l’apprendre même si je ne suis pas encore né. C’est le début de la lignée des Desmeules à Valin et tout va pour le mieux.

Il faudra défricher encore

pour avoir un pré

Par contre, tout ne va pas pour le mieux dans la confédération. On se rappelle qu’en 1867, on a créé la confédération sous la magouille de John A. Macdonald et de la reine Victoria. Ça fait sept ans que le premier premier ministre du Canada est au pouvoir. En tant que chef du parti conservateur, il n’a pas beaucoup d’opposant sauf le parti libéral qui lui n’a même pas de chef. Or le parti conservateur de Macdonald a fait une erreur de trop. Il faut dire que le système d’octroi des contrats de l’époque était propice à faire éclater des scandales. Aujourd'hui, bien c'est pareil.

Soyons conservateurs

Mais quel est donc ce scandale? Deux groupes étaient en compétition pour l'attribution du contrat de construction de la ligne de chemin de fer entre la Colombie-Britannique et l’est du Canada. Il s'agissait du Canadien Pacifique de Hugh Allan et de la compagnie du Grand Tronc. En 1873, on apprend que Macdonald avait promis le contrat à Allan en échange de 350 000 $ dans la caisse du parti conservateur.

Traduction libre:

Un scandale politique est quelqu'un ou quelque chose

qui cause un outrage public.

Le parti libéral demande à Alexander Mackenzie de devenir le chef du parti et aussitôt en janvier, il demande au gouverneur général lord Dufferin de déclencher des élections.

Alexander Mackenzie,

deuxième premier ministre du Canada,

n'est pas le frère d'Alexandrianne Mackenzie

Lord Dufferin, gouverneur général du Canada

La terrasse Dufferin

Lord Dufferin est le gouverneur général du Canada. Il est le représentant de la reine Victoria d'Angleterre dans le Dominion du Canada. Il est né en Italie et parle couramment le français et l’anglais. À Québec, on connait la terrasse Dufferin. Aujourd'hui, c'est Mary Simon qui est gouverneure générale du Canada. Elle est née dans le nord du Québec et parle couramment le inuktitut et l’anglais. Dans le Nunavik on connait le inuksuk Simon.

Mary Simon

L'inuksuk Simon

Avec tout ça, Alexander Mackenzie est élu « deuxième » premier ministre du Canada et le parti libéral remplace le parti conservateur. C’est ainsi que la gouvernance du pays alternera de libéral en conservateur, de bonnet blanc à blanc bonnet. Alexander Mackenzie a fait un mandat de quatre ans. Dans ce temps-là, lorsqu’on avait été premier ministre du Canada, le roi ou la reine d’Angleterre en faisait chevalier. Comme Mackenzie est écossais et que les écossais n’aiment pas trop trop les anglais, il refuse ce titre que la reine Victoria lui accorde. C’est avec honneur qu’il lui montra son majeur.

On a du sang écossais, c'est sûr.

C’est le 16 janvier 1875 que le premier enfant de Marguerite et Épiphane vient au monde. C’est une petite fille, Marie-Léa, baptisée le lendemain à Sainte-Anne par le curé David Roussel, celui qui porte une longue barbe plutôt que le col romain. Elle est la première Desmeules de notre famille qui vient au monde sur les terres de Valin.

Registre de l'état civil

Il est écrit: "Le dix sept janvier mil huit cent soixante quinze, nous curé soussigné, avons baptisé Marie Léa née la veille, du légitime mariage de Épiphane Desmeule cultivateur et Marguerite Maltais de cette paroisse. Parrain Edmond Desmeule, journalier, marraine Émilie Maltais, fille de Jean de Chicoutimi, lesquels ont déclaré ne savoir signer. Le père absent, lecture faite. D. Roussel, ptre".

D'après de laborieuses recherches, Edmond est le frère d'Épiphane, vieux garçon, qui a finit par quitter Sainte-Agnès et s'établir à Chicoutimi et Émilie est une cousine de Terres-Rompues, une autre fille d'Alexandrienne et de François. Si c'était la fille de Joseph Maltais, le frère d'Alexandre, alors elle demeure à Bagotville et c'est un peu trop loin pour se voisiner. Il semble qu'Épiphane était trop occupé à la ferme puisqu'il n'est pas présent au baptême, à moins qu'il n'ait le même problème que son père Isaïe.

Nos racines à Valin

Maintenant que notre lignée est assurée, puisque les racines commencent à se former, il est temps de faire nos adieux à la famille Maltais. Nous les reverrons certainement. Disons au revoir à pepére François qui vivra encore 7 ans et Alexandre encore 9 ans. Luc, 21 ans quittera la ferme à son mariage et ira travailler comme journalier. Jean, 19 ans, deviendra arpenteur et mariera la fille d’un ingénieur. David, 14 ans, deviendra notaire et préparera une série de contrats de mariage et de vente de terrains. Alexandre, 11 ans, ira étudier au séminaire et deviendra prêtre. Finalement, Thomas Amédé, 7 ans, aura une vie effacée et mourra au sanatorium Mastaï, appelé aussi hôpital Saint-Michel Archange à Québec.

À suivre ...