2019-12-10-La grande histoire – Isaïe à l’école et l’Acte d’Union
Avant qu’Isaïe ne vienne au monde, il n’y avait pas d’école en Nouvelle-France. Bon, il y avait le Séminaire de Québec mais c’était pour la production de prêtres pour les villages de la Nouvelle-France. Avec la conquête des Anglais en 1759, et là on parle du Bas-Canada, la situation s’est même rempirée (c’est du québécois, ça) dans le sens que le taux d’alphabétisation a descendu jusqu’à 13 % et même jusqu’à 4 % quand Joson s’est établi à Pointe-au-Pic. Tout le monde signait avec un X. Aujourd’hui, au Québec, le taux d’alphabétisation est de 81 %, les autres ne savent pas lire.
Un X suffit, Joson,
Trois X n'a pas la même signification
Non mais c’est pas croyable. Et savez-vous pourquoi les canadiens-français ne savaient pas lire? C’est parce que le clergé (disons la gang de prêtres, curés, frères, missionnaires, etc,) était opposé au système scolaire proposé par le gouvernement britannique.
Je l'aime, moi, l'école britannique
Pour amadouer ces gens en soutanes, le Parlement adopte la loi des écoles de fabriques. Autrement dit, c’est la fabrique qui gère les écoles sous l’œil attentif du curé et avec l’argent des dîmes et des bonnes œuvres. Mais ça marche pas pantoute.
Ça marche pas, ton affaire
C’est là que Joseph-François Perrault prend à cœur l’éducation de la population du Bas-Canada. Sous son influence, le Parti canadien fait adopter la Loi des écoles de syndics qui relèvent de l’État. Qui c’est qui était pas content? Le clergé, évidemment.
Laisse-faire le clergé, tu vas l'avoir ton diplôme
Perrault ne vise pas les élites mais le peuple. Contrairement aux gens d’Église, il ne croit pas que la pauvreté soit une fatalité. D’après lui, avec l’instruction, chacun pouvait devenir un meilleur agriculteur ou améliorer son sort. Il ne veut pas que les églises aient la mainmise sur le système scolaire. Il croit que c’est d’abord aux parents de voir à l’éducation religieuse de leurs enfants, en dehors des heures de classe.
Hein? On est en 1821 là !
La religion, c'est à la maison
À Pointe-au-Pic, loin des grands centres, quel avenir auras-tu, Isaïe? Tu as 12 ans en 1839. Le mouvement indépendantiste a été écrasé et les patriotes ont été pendus. Pour le moment, il ne faut pas trop s’en faire. Ta famille est assez riche pour pourvoir à tous les besoins et toi tu t’instruis très bien. Tu ne peux quand même pas suivre tes frères qui vont dans le bois avec Joson. Tu es trop feluette (mauvaise prononciation de fluet qui veut dire fragile) et trop souvent malade. Le mieux est que tu restes à la maison.
Reste à la maison, Isaïe
Tes deux sœurs aînées vont à l’école et elles te transmettent tout ce qu’elles apprennent.
Florine qui est ton aînée avec dix ans de plus, adore te faire l’école. Elle-même est une des premières élèves de l’école de St-Étienne de Murray Bay. C’est une école de syndic construite sous le règne du curé Pierre Duguay en 1827, l’année même de ta naissance. C’est madame John Nairne qui a cédé un terrain exprès pour ça après la mort de son mari. Lui, c’est l’officier écossais qui s’est vu octroyer la seigneurie de la Malbaie du côté de Murray Bay.
Est belle, ton école, Florine
Alors Florine a déjà dix ans lorsqu’elle commence l’école. C’était vraiment agréable. Le matin, l’enseignement est en anglais et l’après-midi, il est en français. Les maîtres (ce sont des enseignants, pas des avocats), étaient anglais mais ils étaient aussi bilingues, ce qui veut dire qu’ils pouvaient parler le « française ».
Je pensais que c'était "Bon matin"
Oui maître, vous avez vraiment une tête d'avocat
Aussitôt les classes terminées, Florine revenait à la maison et s’empressait de te montrer tout ce qu’elle avait appris. Et tu apprenais très vite, même l’anglais, « of course ».
Bien sûr
Et les années ont passé jusqu’à ta variole et la rébellion des patriotes. Quelle difficile année que cette année 1839. À 12 ans, tu ne veux vraiment pas aller bûcher dans le bois avec ton père et tes frères. Alors la variole va te fournir la meilleures des raisons pour rester à la maison et étudier dans les livres de Florine.
Tu vas être bon mon Isaïe
Elle continue ton enseignement jusqu’à son mariage à 23 ans. Elle quitte la maison et toi, tu poursuis tes études à l’école de la paroisse. Toute la famille est fière de toi et on t’admire énormément.
Tu auras au moins ce diplôme
Tu en connais des choses. On a de grands espoirs pour toi. On pense même que tu pourras aller à l’université. Mais où? Il y a bien McGill University (prononcez « mèque guile » et non « emme cé gilles ») mais c’est pas mal juste pour les anglais surtout que l’argent vient de personnes haut placées comme Molson et Redpath (ah oui, on les connait eux-autres).
Je ne pense pas que c'est le bon moment
d'aller vers les anglais
Pas grave, tu iras à l’Université Laval, c’est le plus ancien établissement d’enseignement supérieur francophone en Amérique. Mais va pas trop vite, elle n’existe pas encore, juste en 1852 quand tu auras 25 ans.
Un jour, peut-être
En attendant, lord Durham a remis son rapport juste après la rébellion des Patriotes et juste avant leur pendaison le 15 février 1939. Maintenant, haïssons-le.
Effeuillons la marguerite: je t'haïs, un peu, beaucoup,
énormément, je t'haïs, je t'haïrai ...
Lord Durham avait été choisi par le gouvernement britannique pour faire une analyse de la crise des Patriotes et chercher une solution durable à cette crise. Au lieu de faire une analyse juste de la situation, il reprit simplement la vision condescendante de l’oligarchie royale. À ses yeux, les Canadiens étaient décidément une population inférieure aux colons anglais. C’est pour ça que les réformes demandées par les marchands anglais lui semblaient appropriées : établir une population de lois et de langue anglaise, une Assemblée anglaise et l’union du Haut et du Bas-Canada. Autrement dit, il propose ni plus ni moins que l’assimilation du peuple canadien-français.
On ne se laissera pas bouffer comme ça
Lord Durham a affirmé ce qui suit : « Peuple sans histoire et sans littérature, les francophones du Bas-Canada devraient être assimilés à la culture anglaise pour devenir d’authentiques sujets britanniques ». L’histoire étant ce qu’elle est, Justin Trudeau disait en décembre 2015 : « Il n’y a pas d’identité fondamentale, pas de courant dominant, au Canada ». Ce ne sont pas les mêmes mots, mais probablement la même idéologie.
Pauvre Justin, just watch us
Ben oui, c'est ton père qui disait ça
On a pas d’histoire, nous? Oh my lord. François-Xavier Garneau arrive et écrit l’Histoire du Canada en 1845. On dit que cette œuvre avait pour but de faire mentir les propos tenus dans le rapport Durham. Toute l’histoire des francophones du Québec sera définie, pour longtemps, comme une « Bible » contre laquelle il ne faudra pas déroger. Tu es trop poli mon petit Garneau, maintenant on déroge, fie-toi sur moi.
Une bible n'est qu'une interprétation de faits
Et après? Ben après, en juillet 1840, le Parlement britannique dota ses colonies du Haut-Canada et du Bas-Canada d’une nouvelle constitution. Ce fut l’Acte d’Union. Comme son nom le dit, il n’y a plus de Haut-Canada et de Bas-Canada, mais la seule « Province of Canada » avec un seul « Parlement ».
C'est quoi la couronne en haut du parlement britannique?
Et les canadiens-français? Que deviennent-ils? Pendant plus d’un siècle, ils se retranchèrent dans la soumission, la religion, l’agriculture et le conservatisme. C’est triste ça. Est-ce qu’il y aura un réveil, une réaction de défense et d’identité pour conserver leur culture et leur langue? Seule, l’histoire le dira.
À suivre ...
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