pharamen

Ce printemps, Isaïe a un serrement au cœur lorsqu’arrive la fin de la drave. Il apprécie cette vie dans la forêt avec ses frères bûcherons. Il se sent vraiment bien dans ce milieu fertile pour les interactions sociales. Un camp de bûcherons est un refuge où les hommes se retrouvent entre amis pour discuter et pour se défouler. Sans la présence des femmes, nul besoin de faire attention à son langage ou à son attitude.

Refuge pour hommes

Menaud, son ami maître draveur, lui apparait comme une idole. Il ne peut s’empêcher de l’admirer tant par son physique que par la maîtrise de son métier. Il est ébloui par son agilité et sa force musculaire pour dégager les billots qui s’empilent pour faire barrage. Maintenant qu’il doit retourner sur la ferme de Saint-Agnès, c’est le cœur gros qu’il fait ses adieux à ses compagnons. Avec un motton dans la gorge, il étreint Menaud et quitte sans regarder derrière.

Adieu

C’est avec bonheur qu’il retrouve Marguerite et ses quatre enfants. Tout ça est de courte durée car il reprend, sans grande conviction, le travail sur la ferme. Malgré les beaux jours de l’été, Isaïe a souvent le visage triste. Il est perdu dans ses pensées comme jamais auparavant. On n’a jamais su pourquoi, cet été là, Isaïe est parti à la chute Nairme, seul. Pourquoi retourner sur le chantier déserté? Pourquoi retourner sur la portion de la rivière où se forme les embâcles? Qu’est-il arrivé? On a retrouvé son corps accroché aux racines d’un arbre à demi-immergé.

Qu'est-il arrivé, Isaïe?

Avec quelques hommes du village, on plaça le corps d’Isaïe sur un chariot tiré par un cheval. Le cortège se mit en route vers le village de Saint-Agnès.

« Les enfants accourus aux clôtures grimpaient sur les pagées; puis, s'effarouchant soudain, remontaient vers les portes pour se blottir contre la mort dans les jupes des femmes. Tout le monde maintenant ralliait le cortège. Et cela traçait, dans le brouillas de l'ombre, un sillage de pitié, de tendresse, de paroles douces comme des prières. Car tous ces voisins-là pouvaient bien se chamailler jusqu'au dernier sou pour une question de clôture, mais, dans le malheur tout le monde pleurait ensemble comme des frères nés dans le même berceau. »

Extrait du livre « Menaud, maître-draveur » de Félix-Antoine Savard, librairie Garneau, 1937.

En route

Le 9 août 1862, Marguerite, portant dans ses bras sa petite Exarine de deux ans et accompagnée de ses trois garçons, se rend à l’église de Saint-Agnès pour le service et l’inhumation de son deuxième mari, retrouvé mort deux jours plus tôt. Épiphane, du haut de ses dix ans, comprend alors qu’il devra assumer un rôle beaucoup plus important. Lui qui ne connaissait pas beaucoup son père devra déjà le remplacer comme protecteur de sa famille.

Épiphane devient le protecteur de la famille.

Mais où est passé Edmond?

Dans le registre paroissial, on note :

Le neuf août mil huit cent soixante deux, nous prêtre soussigné avons inhumé dans le cimetière de cette paroisse le corps de Isaïe Desmeules cultivateur, époux légitime de Marguerite Desbiens de cette paroisse, décédé l’avant veille, âgé de trente cinq ans de cette paroisse. Présents François Gagnon et Marie ? Tremblay qui n’ont pas signé.

Jos Lagueux, ptre

Et la vie continue. Épiphane double ses efforts pour aider son oncle, vieux garçon, sur la ferme. C’est comme une famille reconstituée. Et une année passe. Et une autre mort survient. Joson, le patriarche de la famille Desmeules, à 88 ans, laisse une descendance de douze enfants et plein de petits Desmeules dont plusieurs migrent vers le nouveau pays : le royaume du Saguenay. Joson, tu as laissé ta marque.

On écrit ce qui suit dans le registre paroissial de Saint-Étienne de la Malbaie :

Le trente juin mil huit cent soixante trois, nous prêtre et curé soussigné avons inhumé dans le cimetière de cette paroisse le corps de Joseph Desmeules cultivateur, époux de feu Constance Bouchard, de cette paroisse décédé quatre jours auparavant à l’âge d’environ quatre vingt dix ans. Témoins Jacques Brassard ? et Pierre Moisan ? qui n’ont su signer.

A Doucet ptre

Dans le village de Saint-Agnès, on parle beaucoup du Saguenay. C’est une colonie pleine de promesses qui fait naître des rêves de bien-être dans la tête d’Épiphane. Il se voit déjà dans ce nouveau coin de pays. Il a entendu parlé de son oncle Julien qui est parti là-bas avec les colons de la Société des Vingt-et-Un. Mais tu es trop jeune Épiphane. Attends un peu, ton tour viendra.

Mon oncle Julien, c'est toi?

Pendant ce temps, les États-Unis, qui ne sont pas si unis, sont déchirés par une guerre civile. Les états du sud sont esclavagistes : ils veulent exploiter leurs plantations en utilisant leurs esclaves noirs. Les états du nord sont abolitionnistes : ils veulent mettre fin à cette condition inhumaine de l’esclavage. C'est ainsi que les états du sud se séparent de l'Union (États-Unis) et deviennent sécessionnistes. Ils forment alors une confédération. La guerre qui s'ensuit s'appelle la guerre de Sécession.

On sort de l'Union.

Ce n'est pas une grève, c'est une guerre.

Pendant cette guerre, les américains du nord interceptent un navire anglais d’Angleterre (c’est Victoria qui est reine de l’Angleterre) avec plein de supporteurs des états du sud. Abraham Lincoln, le président des États-Unis et chef des nordistes est en beau maudit. Il obtient l’aide de Monsieur Vanderbilt, l’homme le plus riche du monde, partisan des nordistes, qui fait don de son bateau le SS Vanderbilt. (Voir "La Grande Histoire- Appendice K-Délisca et son piano"). Son propriétaire suggère même de remplir l’avant du navire de béton et de le renforcer avec un placage de fer. Le bateau est ensuite envoyé en haute mer dans la recherche des pillards sudistes.

Abraham Lincoln

Cornelius Vanderbilt

Le fameux SS Vanderbilt de 1862

Les nordistes, qu’on appelle aussi les Yankees, en colère contre les anglais, envisagent différents scénarios dont celui d’envahir les colonies britanniques du Canada-Uni. Pas tout de suite, cependant. Il faut qu’ils finissent leur guerre de Sécession qui se terminera en 1865. Se pourrait-il que le Canada-Uni devienne les États-Unis? Pas si sûr, car après la guerre, le SS Vanderbilt a l’honneur de transporter la reine d’Hawaï (Emma pour les intimes) de San Francisco à Hawaï. Comme la marraine de son fils est la reine Victoria d’Angleterre, on peut croire que la colère des Yankees envers les Anglais s’est calmée.

Invention ou invasion?

Pendant ce temps, dans le Canada-Uni qui n’est pas si uni, John A. Macdonald, le premier ministre conservateur annonce que le parti libéral accepte une coalition, à condition qu’on mette en place une fédération des colonies britanniques. C’est ce qu’on appelle la Grande Coalition de 1864. Quelles sont les colonies britanniques dont on parle? Les voici : Terre-Neuve, l’Île-du-Prince-Édouard, le Nouveau-Brunswick, la Nouvelle-Écosse et la Colombie-Britannique. Lors de la conférence qui suit quelques mois plus tard, les délégués des  cinq colonies britanniques discutent de l’avenir de leur communauté. Avec le Canada-Uni (Ontario et le Québec), une conférence s’ouvre à Québec et elle sera déterminante. Seulement 4 des 33 délégués sont canadiens-français. On est en train de tracer la maquette de la future constitution du Dominion du Canada.

John A. Macdonald

Avant que cette constitution ne soit adoptée, le Canada-Uni adopte un code civil qui s'appliquera sur le futur territoire de la province de Québec: le Code civil de 1866. Il est inspiré par le code Napoléon. Cette loi confirme que les canadiens-français sont différents des canadiens-anglais. En vertu de cette loi, les femmes mariées sont considérées comme des mineures ou des simples d’esprit. Elles ne peuvent signer un contrat ou intenter une action en justice. Elles doivent se soumettre à leur mari en échange de quoi celui-ci doit leur assurer sa protection. Les quelques-unes qui travaillent doivent remettre leur salaire à leur mari. A la mort de ce dernier, elles sont toutefois responsables de ses dettes.

Le saviez-vous?

C’est sur ces tableaux de l’histoire que la Confédération canadienne verra le jour.

No comment