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2022-02-20-La grande histoire – La nouvelle famille d’Épiphane

Il est l’heure de souper. Épiphane n’a connu que les chantiers dans le bois ou le camp des hommes de la scierie Price. Les gestes maniérés, il ne les connait pas trop. "Il entre dans la maison, enlève sa chemise à carreaux, met de l’eau dans le petit baquet et s’y baigne le visage, s’inonde le cou et s’asperge la chevelure. Il s’assoit à la table et tous les regards se portent sur lui. Il remplit son bol de ragoût qui trônait sur la table et se rompt un morceau de pain". (tiré de Le Survenant). Madame Justine grimace de l’inconvenance, Marguerite affiche un petit sourire narquois. Les quatre garçons n’en font pas de cas ni bébé Amédé qui se bat avec une boulette du ragoût. Alexandre espère que son engagé adoucira ses manières mais pour le moment, c’est un rude travailleur et il en a bien besoin.

 

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Les bonnes manières, ça existe !

 

 

Alexandre s’adapte rapidement à sa nouvelle vie. Malgré son jeune âge, il a une grande expérience. Ses connaissances sont variées et l’aide qu’il apporte à la ferme des Maltais est remarquable et remarquée. En premier lieu il y a Alexandre qui ne cesse d’apprécier ses talents de fermier. Il a quand même passé beaucoup de temps sur la ferme de son oncle à Sainte-Agnès. Que ce soit dans la traite des vaches ou le soin apporté aux animaux de ferme, il est très valeureux. Il va même jusqu’à fabriquer du fromage, une compétence théorique qu’il a acquise en questionnant son oncle Julien lors de son arrivée à la Grande Baie. En plus, il construit un poulailler pour abriter ces bêtes à plumes en liberté dans la grange et souvent exposées aux caprices des bêtes nocturnes. Lui, qui a aidé les villageois affligés par le Grand Feu, avait appris beaucoup dans la construction de maisons temporaires. La construction d’un poulailler était loin d’être un défi.

 

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Un poulailler? Facile.

 

 

Il se permit même d’installer une pompe à eau dans la cuisine de madame Justine, ce qui lui attira non seulement une grande complicité de sa part mais aussi une certaine affection. Pour le bonheur de tous, on n'avait plus besoin d’aller chercher l’eau au puits. C’est une belle pompe en fonte achetée à Montréal mais provenant de la compagnie ontarienne John McDougall-Caledonian Iron and Co, rien de moins.

 

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Mince et élancée, la McDougall

 

Complice avec madame Justine, il n’hésite pas à blaguer en lui disant que c’était facile pour lui car il a déjà installé une turbine Francis mais qu’il ne pourrait pas jouer du piano  car il n’en a jamais déménagé.

Épiphane est dans les bonnes grâces de monsieur et madame Maltais. Ces derniers lui sont de plus en plus reconnaissants et lui portent une grande confiance. Ces élans sont remarqués par Luc, l’ainé des garçons qui tranquillement sent qu’il perd sa place. La jalousie gagne du terrain.

 

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Ben non, Luc, tu seras toujours le préféré.

 

 

Et Marguerite dans tout ça? C’est une jeune fille très timide tout comme Épiphane d’ailleurs. On sent bien qu’il y a une attirance, ne serait-ce que parce qu’ils ont le même âge. Marguerite est sensible non pas tant à ses prouesses techniques mais à ses histoires qu’elle aime écouter. Elle, qui n’a jamais voyagé, se nourrit des aventures de ce beau brun. Le soir, aux sons des criquets, sur la grande galerie en avant, chacun bien installé dans leur chaise berçante, il lui raconte sa triste vie dans son village de Sainte-Agnès, son voyage dans la grande ville de Québec, là où il a pris le tramway hippomobile pour la première fois, son voyage dans le parc de la Galette pour se rendre à la Grande-Baie. "Ah oui? Mes parents se sont mariés là"! interrompt Marguerite. Et sa vie dans le bois en hiver, le travail à la scierie et le Grand Feu. Quel homme fascinant, se dit-elle. Déjà l’heure d’aller dormir et en guise de "bonne nuit", il lui montre la lune.

 

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Il faut aller dormir, minou !

 

 

Épiphane est très heureux dans son nouveau patelin. L’hiver approche et si le travail à la ferme devient plus tranquille, monsieur Maltais a d’autres projets pour lui : la coupe du bois. Le domaine des Maltais est vaste et la terre n’est que partiellement défrichée. Le projet à long terme est de faire une grande ferme modèle pour donner l’exemple à d’autres colons trop craintifs. Pour ça, il compte sur Épiphane pour couper les arbres pendant l’hiver et arracher les souches en été pour pouvoir labourer et cultiver la terre.

 

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On défriche

 

 

Les Maltais possèdent une propriété de 800 acres, c’est grand ça. Mais grand comment? C’est quoi un acre? Acre vient du latin "ager" qui veut dire champ et si on lui colle le mot culture, on obtient agriculture qui veut dire cultiver le champ. L’acre correspond à la surface d’un champ que pouvait labourer un attelage de 2 bœufs en une journée. On est pas bien avancé là. Ok, un acre est une surface de 100 pieds de large par 440 pieds de long. Alors la terre des Maltais représente une surface de 1 kilomètre de large par 3,2 kilomètres de long. Et en arpents? On va laisser faire !

 

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Un acre, c'est un beau grand terrain pour une maison.

Il en reste 799, Alexandre.

 

 

C’est une grande propriété mais celle du docteur Cyrille Dubois est deux fois plus grande. Et qui c’est-ti, le docteur Dubois? Bien c’est presque le voisin. C’est celui qui a donné le nom du Lac Docteur dans le rang 8 à Saint-Honoré et que tout le monde connait. Ce bon docteur, né à Bécancour, est venu pratiquer la médecine au Saguenay dans le village de Peter McCleod (Chicoutimi). C’est lui qui a opéré François Morissette, un autre presque voisin, lors de son accident au moulin de McCleod. Le docteur a acheté une propriété dans le rang 8 qui part du Lac aux Cajeux (maintenant le Lac Docteur) et qui se rend jusqu’à la rivière Valin. Il voulait en faire une ferme modèle lui aussi mais il est parti avant de réaliser son rêve.

 

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Le Lac Docteur, rang 8. Le chemin vers Valin, à droite.

 

 

Épiphane vit très heureux dans sa nouvelle famille. Et l’hiver passe, et l’été revient. C’est bien tranquille dans la province de Québec, en tout cas, on entend parler de rien et c’est tant mieux. On dirait que les chicanes sont finies. Mais à Chicoutimi, il se passe quelque chose de grandiose en 1873. Le curé Dominique Racine, celui-là même qui a arrêté le feu à la scierie de Price, a décidé d’ouvrir un Grand et un Petit Séminaire à Chicoutimi. « Courage, Dieu est avec vous », lui écrit l’archevêque. Le curé ne fait ni une ni deux et achète l’école du Centre à côté de la chapelle de la Rivière-aux-Rats pour un dollar. Il l’aménage en conséquence et Monseigneur Taschereau, l’archevêque, bénit le séminaire le 15 juillet. "Séminaire" vient de la racine latine « semin » qui veut dire « graine ». Ici, je ne peux m’empêcher de citer : « Honni soit qui mal y pense », la devise de l’ordre de la Jarretière. Un séminaire est une école qui forme des prêtres. Et il y en aura dans la famille.

 

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Le premier séminaire en 1873, au coin de

la rue Morin et Cartier.

 

 

De pleine lune en pleine lune, le rapprochement de Marguerite et d’Épiphane devient évident. On ne freine pas un amour grandissant d’autant plus que les parents de la belle sont déjà conquis par le charme et les qualités de ce prétendant. Par un chaud dimanche soir, en revenant de la grosse chute de la rivière Valin avec sa nouvellement fiancé, Épiphane demande la main de Marguerite à son paternel. Alexandre est rempli de joie et de fierté. Sans aucun doute, il a le meilleur gendre devant lui. C’est l’occasion de se servir un petit verre de caribou et de célébrer l’événement. Les trois plus jeunes sont déjà couchés mais Luc et Jean ont la permission de prendre un petit verre. Pepére François aussi ne se laisse pas prier pour prendre un petit coup.

 

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Vive les fiancés !

 

 

Le lendemain, Alexandre et Épiphane parle « affaires ». Le mariage nécessite certaines mises au point. Monsieur Maltais a développé une grande amitié avec Épiphane et il lui confie qu’il a bien l’intention, à sa mort, de léguer sa terre à ses enfants. Il est bien heureux que son futur gendre puisse en hériter une partie avec sa fille. Cependant, il n’a qu’une fille justement et il ne veut pas que Justine reste seule avec toutes les tâches parmi les 6 gars vivant dans la maison. Il lui propose alors de fonder sa famille en demeurant avec eux. Il n'a qu’à construire une rallonge à la maison actuelle. Il achètera les matériaux et Épiphane s’occupera de la construction. La proposition est plus qu’intéressante et Marguerite est folle de joie.

 

 

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Oui, ce sera très bien !

 

 

À la mi-août, Alexandre et Épiphane partent avec un chariot tiré par deux chevaux pour aller acheter les matériaux au village. Ils se présentent à monsieur Kessy Tremblay, le commerçant de Sainte-Anne. Ce dernier a justement du beau bois venant de la scierie Price juste en face et qu’Épiphane connait si bien. Avec l’aide des frères Luc, Jean et David, la construction avance rapidement, malgré tous les travaux de la ferme. Bien sûr, Alexandre donne aussi son coup de main et même pepére François contribue à sa façon, trop heureux de se sentir utile pour la bonne cause.

 

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Alexis Tremblay dit Kessy

 

 

Le mariage est annoncé pour le début de février. Quoi? En plein hiver? Mais pourquoi, nous demandons-nous? Premièrement, c’est parce qu’il n’y a pas encore d’église à Sainte-Anne. Ce n’est qu’une petite chapelle où on peut faire baptiser et célébrer la messe du dimanche. Les mariages, eux, sont font à Chicoutimi, dans la paroisse de Saint-François-Xavier. D’ailleurs, en même temps qu’Épiphane construit l’agrandissement de la maison de Valin, le nouveau curé Roussel, David de son prénom, s'affaire à la construction du presbytère. Ce n'est pas tout à fait de même sobriété.

 

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Le curé Roussel

 

Il porte une longue barbe parce qu'il a eu une affection à la gorge.

Il me semble qu'à sa place, je porterais le col romain.

 

 

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Le presbytère de Sainte-Anne,

un exemple de sobriété.

 

 

Deuxièmement, en hiver c’est facile de traverser le Saguenay qui est gelé bien dur. Le pont de glace est entretenu et balisé entre le pied du cap Saint-Joseph et le côté est de la rivière Chicoutimi (rue Montcalm). Et en hiver, c’est toujours plus facile de se déplacer, tout le monde sait ça et en plus, y’a pas grand-chose à faire alors aussi ben se marier.

 

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On va se rendre à Chicoutimi facilement

 

 

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21/02/2022
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