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2022-02-05-La grande histoire – Sainte-Anne et Valin

Été 1872, Épiphane Desmeules, 20 ans, s’en va à Valin, un petit coin de pays près de la rivière du même nom. C’est une rivière beaucoup plus connue qu’on le pense. François Verreau, explorateur et coureur de bois vers 1775, parle avec précision de la rivière Valin « venant du Nord, large de six arpents, navigable pour des canots pendant cinquante lieues ». Un autre coureur de bois, Pascal Taché précise que cette même rivière est navigable en canot d'écorce et communique avec la rivière « Pissiamitsh » (aujourd'hui la rivière Sainte-Marguerite), en faisant quelques portages. 

 

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Elle vient des montagnes au loin et se jette dans le Saguenay

 

 

À mes frères et sœurs et à ceux de notre génération, permettez-moi de vous présenter le nouveau coin de pays où notre arrière-grand-père va s’installer. C’est le berceau de notre enfance et comme nous étions si jeunes, nous en avons perdu quelques souvenirs. Les noms de rue n’étaient pas les mêmes en 1872 mais ce sera plus facile de se comprendre avec les noms d’aujourd’hui.

 

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Le berceau de notre enfance,

c'est sûrement du bois de pin.

 

 

Lorsqu’Épiphane arrive sur le côté nord de la rivière Saguenay, il débarque près de la rue du Pont, au pied du cap Saint-Joseph où est érigée la fameuse croix de Sainte-Anne. C’est le canton Tremblay. Pourquoi canton? Dans le temps de la Nouvelle-France, le pays était divisé en seigneuries. Après la conquête de notre pays par les anglais, ces derniers divisent les terres en cantons. C’est une surface de terre en forme de carré, figure géométrique que les anglais préfèrent. Les états-uniens préfèrent le pentagone, les français l’hexagone et moi, l’octogone.

 

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On se reconnait

 

 

Le canton Tremblay s’étend vers le nord jusqu’à Falardeau, vers l’ouest jusqu’à la route de Gigonville (boulevard Martel) et vers l’est jusqu’à Saint-Fulgence en bas de la côte du village. De chaque côté du canton Tremblay, il y a deux autres cantons : le canton Simard (c’est là qu’il y a Terres-Rompues) qui va jusqu’à la rivière Shipshaw  et le canton Harvey qui va du village de Saint-Fulgence  jusqu’au chemin qui monte sur les monts Valin (où il y avait le moulin à scie).

 

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Les trois cantons

 

 

C’est bien beau les cantons mais chez-nous on est bilingue. Comme on est plus français qu’anglais, on a adopté le système français pour diviser les terres, c’est-à-dire les rangs et les lots. Je trouve que c’est bien mieux pensé. Un rang est une bande de terre qui longe un cours d’eau. Donc Épiphane a débarqué dans le rang 1 qui est le premier rang qui longe la rivière Saguenay. Le rang est divisé en lot de 100 acres qui donnent environ 600 pieds de large sur le front de la rivière par 1 1/4 mille de profondeur. Ainsi, le colon a une façade sur le Saguenay et comme les terrains ne sont pas très larges mais très profond, il peut aller voir son voisin pour l’aider en marchant 600 pieds et cultiver une terre qui s’étend sur 1 1/4 de long. C’est le colon qui entretient son chemin et ainsi de lot en lot, on a un chemin qui parcourt tout le rang. C’est difficile à se l’imaginer quand on débarque sur la rue du Pont mais si on va sur le boulevard Sainte-Geneviève vers Terres-Rompues, on roule dans le rang 2. Sur le bord du Saguenay il y avait un autre chemin qui était le rang 1.

 

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Les lots du rang 1 et du rang 2

 

 

Si on monte vers Saint-Honoré par le boulevard Martel, on traverse les rangs 3, 4, 5 et ainsi de suite jusqu’au rang 10. Le rang 3, on le connait un peu plus car notre famille y a demeuré lorsqu’on vivait à La Carrière et comme il s’étendait au-delà de rue Delisle, on le fréquentait lorsqu’on était en bas âge. Quand on allait voir memére chez mon oncle Yvan qui restait sur la rue Delisle, papa aimait bien revenir par le rang 3 qu’on appelait le p’tit trois et on arrivait sur la rue Sainte-Marie en arrière du restaurant actuel « Bouffe et Plus Sainte-Geneviève et Dépanneur ». Des fois, on arrêtait chez Marcel Perron et Margot qui demeuraient dans le virage.

 

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La maison à mon oncle Yvan où memére restait

 

 

En 1855, bien avant l’arrivée d’Épiphane, le canton Tremblay est beaucoup plus populeux que ceux de Simard et Harvey. Pour former une municipalité,  on fusionne les trois cantons, ce qui permet de créer la municipalité de Canton Tremblay. Plus tard, en 1863, un décret d'érection canonique est finalement signé et établit le village de Sainte-Anne.

 

Pour bien nous situer, nous allons faire le tour de ce village à partir de la rue du Pont où Épiphane vient d’arriver. Attèle la jument, on part.

 

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On est parti

 

 

Nous sommes dans le rang 1 sur le lot 2 ouest. On avance jusqu’à la rue Roussel et on tourne à gauche pour monter la première côte. Arrivé au pied de la deuxième côte, on dit bonjour à la rue Saint-Alexis où mon frère Jean-Luc a déjà demeuré.

 

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Maison à Jean-Luc sur Saint-Alexis

 

 

Savez-vous pourquoi elle s’appelle Saint-Alexis? C’est parce qu’elle est sur le lot 6 qui appartenait à Alexis Tremblay (dit Kessy). Il s’est marié avec Marie Tremblay, une métisse (qui n’est pas ma grand-mère paternelle) . De ce mariage nait Jimmy Tremblay qui se marie avec Kate Maltais, une autre métisse,  et qui enfante Marie Tremblay (qui est ma grand-mère paternelle). La famille s’installe au pied de la première côte et ouvre un magasin qui deviendra un jour « Les Matelas Morphée » où notre famille a demeuré.

 

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La maison à Jimmy Tremblay, le père de memére.

Elle était au pied de la côte Sainte-Anne.

 

 

Bon on continue notre route. On monte la deuxième côte et on arrive près de la chapelle Sainte-Anne (l’église n’existe pas encore) et du cimetière. Un peu plus loin on aperçoit la croix de Sainte-Anne et la maison d’Alexis qu’on appelle maintenant Kessy. Cet homme est tellement important dans le village qu’on ne dit pas le cap de la croix mais le cap à Kessy et ni la côte Sainte-Anne mais la côte à Kessy. Kessé qu’tu veux?

 

Poursuivons notre chemin sur la rue Roussel. On arrive en haut d’une côte qu’il faudra descendre jusqu’au Saguenay. Ça c’est la côte de la Chatte. Mais avant de descendre, on dit bonjour à la maison que mon frère Jean-Luc (encore lui) a déjà possédée.

 

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Ça déjà été plus chouette

 

 

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La côte de la Chatte.

Retiens la jument, Jean-Luc, ça descend à pic.

 

 

On descend jusqu’au bord du Saguenay pour continuer sur le chemin du Bôme jusqu’au lot 16 qui appartenait à William Price lui-même. Si on continue sur le bord du Saguenay, la route nous mène chez-nous à Terres-Rompues. Dans ce temps-là, elle mène à Peter McCleod, père, qui demeure sur le bord de la Rivière aux Vases par où a glissé le village de Saint-Jean-Vianney. Mais là, on est arrivé au canton Simard. N’allons pas plus loin et tournons à droite vers le nord. On est maintenant sur la route Tremblay et on longe lot à monsieur Price. On remonte jusqu’au rang 2 et on traverse le boulevard Sainte-Geneviève. On continue jusqu’au rang 3. À notre droite, pas très loin, il y a le chemin de la Carrière. Papa, maman et nous, les enfants, y avons vécu quelques années. La ferme de Charles Tremblay-petit était juste en face. 

 

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La Carrière.

Côme, Gratien, André,

Lisa, Martin, Claude et Martine.

 

 

On arrive au rang 4, là c’est la vraie carrière Riverin. Ensuite, c’est le rang 5, c’est Gigonville, avec les maisons en tentess noir et porte moustiquaire d’aluminium avec un cygne dessus. On passe le rang 6 et le rang 7 et on tourne à droite sur la route du docteur Dubois (chemin du Volair). Sur notre droite (rang 7) on arrive au cimetière où sont enterrées les cendres de nos défunts et un peu plus loin, sur notre gauche (rang 8), c’est le lac Docteur (en l’honneur du bon docteur Cyrille Dubois). À droite, c’est la rue des Chalets où demeurait ma sœur Gilberte. On continue et on arrive dans le rang des Morissette, à droite (toujours rang 7). C’est là que François Morissette, celui qui a perdu un bras à la scierie McCleod de la rivière du Moulin, est venu s’établir à côté de son frère sur la terre paternelle.

 

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Rue des Chalets, à droite: bonjour Gilberte.

Tout droit, le rang des Morissette.

 

Juste après le lot 37, on tourne à droite sinon on se jetterait dans la rivière Valin à un kilomètre  plus loin. La route s’appelle maintenant chemin Price et on trouve ça beau parce qu’à notre gauche, c’est justement les lots qu’Alexandre Maltais a acheté de la famille Price et où va travailler Épiphane. Un peu plus tard, on va l’appeler le rang des Desmeules. D’ailleurs on continue jusqu’à la rue Desmeules à gauche encore pour saluer les Maltais.

 

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Le rang des Desmeules

 

 

On est toujours dans le rang 7 et quand on arrive dans le rang 6, à gauche comme à droite, c’est toujours les lots d’Alexandre Maltais qui deviendront par la descendance, la propriété de Luc Maltais, Déliska Maltais, Roland Tremblay et ma sœur Gisèle (et associés).

 

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Elle a bien changé, la maison à Roland.

 

 

On continue et on descend la côte Villeneuve jusqu’au Saguenay. On tourne à droite sur le chemin de Sainte-Anne à Saint-Fulgence. Arrivé à la rivière Caribou, on peut voir le moulin à farine de Toussaint Bouchard. On arrive au pied d’une colline : c’est la côte à Thodule. Mais comme c’est une forêt et que la côte à Thodule n’existe pas encore, il faut tourner à gauche et monter sur le cap Saint-François. C’est un beau promontoire pour admirer la rivière du Moulin et le village de Chicoutimi. Plus loin on descend jusqu’à la rue des Remparts où maman a vécu plusieurs années dans la maison à Morasse. On traverse ensuite la rivière Rouge qui deviendra le ruisseau Micho. Finalement, nous arrivons à notre point de départ. Il est grand le village, n’est-ce pas? C’est le temps de donner de l’avoine à la jument.

 

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C'est pas pour les cochons, ça?

 

 

Bien sûr, Alexandre et Épiphane ne font pas le même tour pour se rendre à domicile. Ils font le chemin inverse, quitte à monter la maudite côte Villeneuve si difficile. Mais il n’y a pas de problème car le cheval, qui trépigne et ronge son frein, a une traction intégrale. Et ne croyez pas que ronger son frein va lui permettre de ralentir en descendant la côte. Non, on ne parle pas de sabots de frein. On parle du mors (ou frein), cette pièce de métal qu’il a dans la gueule, qu’il mâchouille et qui permet de le ralentir en tirant sur la bride.

 

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Tu vas le ronger longtemps ton frein,

il est en métal.

 

 

Arrivé en haut de la côte, Alexandre lui présente le domaine des Maltais : « nos terres commencent ici dans le rang 6 et s’étendent sur deux milles de long jusqu’au bout du rang 7. Notre maison est dans le rang 7 justement, du côté de la rivière Valin. Il y a encore beaucoup de bois d’boutte mais on va défricher ».

 

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Ouais, il y a encore du bois d'boutte

 

 

Épiphane arrive enfin à son nouveau lieu de résidence. C’est une grosse maison bien cossue. On voit bien que la famille Maltais est riche. Je vous la présente cette famille:

 

D’abord il y a Alexandre, 57 ans et sa femme Justine Boivin 48 ans. Elle a accouché de 11 enfants qui n’ont malheureusement pas tous survécus. Il y a Marguerite, 20 ans, même âge qu’Épiphane, Luc 18 ans, Jean-Baptiste 17 ans, David 11 ans, Alexandre 9 ans et Thoma-Amédé, 4 ans. Je n’oublie pas pepére François, 80 ans. C’est le père d’Alexandre et c’est lui qui a fait fortune dans la coupe du bois avec William Price lorsqu’il a fait partie de la Société des Vingt-et-Un.

 

La maison est spacieuse. Il y a la cuisine avec le foyer et le poêle à bois. L’eau est sur le comptoir dans une grosse chaudière et il faut aller la chercher au puits. L’immense table est en chêne et peut accueillir douze personnes. Le grand salon est derrière deux larges portes coulissantes qui sont maintenues ouvertes pendant l’été. D’ailleurs, c’est ce qui permet à Épiphane d’apercevoir un piano. C’est la première fois de sa vie qu’il en voit un en vrai. Un escalier monte à l’étage où sont situées les chambres à coucher pour les enfants. La chambre d’Alexandre et Justine est au rez-de-chaussée de même que celle de pepére qui ne peut plus se permettre de monter des escaliers. Pour Épiphane, on lui attribue une chambrette à côté de celle à pepére. Il devra se lever tôt pour aller faire le train. La porte en arrière de la maison conduit à la bécosse.

 

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Une belle grosse maison cossue

 

 

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Non, mon beau poêle Bélanger

n'était pas encore inventé.

 

 

Épiphane est présenté à la famille. Si l’accueil est chaleureux pour certains, il l’est un peu moins pour d’autres. C’est normal, un étranger dans une famille amène toujours de la jalousie. Madame Justine est enchantée de même que Marguerite. Pepére lâche un grognement d'approbation et les autres membres demeurent plutôt discrets. Épiphane vivra avec la famille dans laquelle il espère s’intégrer. Si Alexandre l'a embauché, c'est pour l'aider à s'occuper de la ferme. Seul avec ses deux plus vieux fils, il ne suffisait plus à la tâche. 



05/02/2022
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