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Lorsqu’on regarde de vieilles photos, nos souvenirs d’enfance refont surface. On revoit des endroits, objets ou rencontres mais les années ont effacé certains contours. C’est ce qui est arrivé quand Gisèle, ma grande sœur, a vue une photo de mon oncle Yvan, le plus jeune frère de papa. Elle a dit : « Le souvenir le plus marquant pour moi, c'était sa voiture décapotable beige st Maurice, je crois. C'était un homme très fier et très gentil ».

Ma grande soeur Gisèle, à l'époque

Mon oncle Yvan, à la même époque

Mon côté « mécanique » a été titillé et j’ai trouvé la photo de la famille de mon oncle Yvan dans la fameuse décapotable. Mais ce n’est pas une st Maurice. Grâce à Johanne et Robin, ma cousine et cousin, j'apprends que c’est une Morris 1955 environ. Désolé, ce n’est pas ça non plus. Peut-être en a-t-il possédée une, un jour, mais ce n’est pas celle sur la photo qui suit.

La fameuse photo

Sur la photo, on voit mon oncle Yvan, le fier conducteur, ma tante Jacqueline, son épouse, Robin mon cousin et Marie, ma grand-mère paternelle. Et bien sûr la fameuse décapotable qui a marqué un souvenir de Gisèle. Si Robin a quatre ans sur cette photo, nous sommes en 1952 et je vais bientôt naître.

Je vous présente cette auto. C’est une Ford Model A 1930 ou 1931 qu’on appelle tout simplement une A. Le modèle de mon oncle Yvan était une convertible « roadster ». En effet, il y avait trois modèles de convertible : la cabriolet, la roadster et la coupé sport quoique cette dernière n’avait pas de capote. La roadster avait le pneu de secours sur le côté de la voiture et si le pare-brise avait été penché, alors c’aurait été une 1931 pour sûr.

La cabriolet avait la roue de secours en arrière et

des vitres latérales qui lèvent avec une poignée

La roadster avait la roue de secours sur le côté

et pas de vitres latérales

Elle avait un banc pleine largeur à l’avant pour accommoder deux personnes et si Robin avait été assis à l’arrière alors il y aurait eu un strapontin (siège d’appoint) en option. L’auto avait un empattement de 103 pouces, à peu près la même chose qu’un Yaris. Son moteur était un quatre cylindres en ligne de 201 pouces cubes (3,3 litres), un peu plus de deux fois celui d’une Yaris. Il avait un seul carburateur Zenith à gravité et il développait une puissance de 40 HP, moins de la moitié de celui d’une Yaris. Ouf!

Une photo chargée d'émotions.

Un moteur carré de 4 cylindres en ligne,

réservoir d'essence à gravité et carburateur Zenith

Elle pouvait rouler à 90 km/h. Elle avait une transmission manuelle à trois vitesses et tenez-vous bien, pas synchronisée. Alors il fallait faire des « double-clutch ».

Pas facile

Le bras de vitesse était au plancher, ça fait que ma tante Jacqueline devait surveiller ses jolies jambes. La suspension avant et arrière était à essieu rigide avec ressort à lames semi-elliptiques. Les pneus à flancs blancs et les roues à rayons peinturées dans une autre couleur que noir étaient optionnels. Elle n’avait qu’un seul feu rouge en arrière du côté gauche au-dessus de la plaque d’immatriculation.

Un feu rouge, c'est bien assez

Regardez-bien la photo qui suit. On voit mon oncle Yvan et Robin. Le seul feu rouge est juste derrière la tête de Robin.

Mon oncle avait dû rajouter un autre feu rouge.

La roadster n’avait pas de fenêtre sur les côtés. À la place, lorsque la capote était levée, on posait des rideaux de plastique avec des boutons-poussoirs (snap). Mais on pouvait rabattre le pare-brise sur le capot.

Pas de pare-brise, pas de vitres latérales

La Ford Model A convertible s’est retrouvée dans une des histoires de Tintin : Le Lotus Bleu. Même si elle est sortie de l’imagination de Hergé, la décapotable est sensiblement une Ford Model A Cabriolet, modèle qui avait le pneu de secours sur le coffre arrière.

Le Lotus Bleu de Tintin

Cher oncle Yvan : il n’y avait que lui pour posséder une voiture vieille de vingt ans. Il faut dire que c’était une voiture qui avait marqué le temps. La Ford Model A remplaçait la Modèle T si populaire dans les années 30. La A a été fabriquée de 1927 à 1931 à raison de 4 850 millions d’exemplaires. Elle a été remplacée par la B. Et pendant que la petite famille de mon oncle se promenait en Ford Model A roadster, Fangio devenait champion du monde en Formule 1. Fangio est un argentin qui a commencé sa carrière de pilote de course à l’âge de 25 sur une Ford Model A 1929 dans la région de Buenos Aires.

Fangio en Formule 1, Gilles Villeneuve s'en vient

Mais alors, c’est quoi l’histoire de la Morris 1955? Peut-être que mon oncle Yvan s’est procuré aussi une Morris décapotable, il en est bien capable. C’est pas mal aussi exotique qu’une Renault Gordini. À l’opposé de la petite française, la Morris est une petite anglaise. Elle a été conçue en 1941 alors que l’Angleterre se fait bombarder par les allemands pendant la deuxième guerre mondiale. Il est pourtant interdit de fabriquer des voitures civiles mais la guerre ne durera pas toujours. Un jeune ingénieur junior de Morris, spécialiste en suspension, a été choisi pour travailler sur la conception d’une nouvelle voiture.

La Morris décapotable 1955

Il créa une petite voiture économique avec une carrosserie monocoque, suspension indépendante aux quatre roues et direction à crémaillère, tout ce que la Ford Model A n’avait pas. Au lieu d’utiliser des ressorts à lames comme sur la A ou des ressorts hélicoïdaux, il proposa des barres de torsions. Il utilise également des petites roues afin de diminuer le poids non suspendu si important dans la conception des autos. Finalement, la petite Morris recevrait un moteur 4 cylindres à plat refroidi par eau. Pourquoi "recevrait"? Lorsque l’auto fut lancée en 1948, elle fut dépossédée de sont moteur et de sa suspension. Ce fut un choc pour le jeune ingénieur. Malgré tout, elle fut construite à un million d’exemplaires de 1948 à 1971.

Si belle !

Alors Gisèle, dans ton souvenir, est-ce que tu revois une américaine Ford Model A ou une anglaise Morris 1955, décapotables toutes les deux? Mais toi la spécialiste des autos, tu as été la seule à identifier la petite auto que papa a ramenée à la maison chez Hamel en 1959. La voici :

C'est quoi cette auto?

Mais ce n’est pas une Hellman, ça c’est de la mayonnaise. Non c’est une Hillman 1956 ou peut-être 1957. En tout cas, comme pour la Morris, c’est une anglaise elle aussi. Après la guerre, l’Angleterre devait se remettre dans la course et elle en a produit des véhicules. Même la Land Rover vient de là.

Une Land Rover 1948 juste après la guerre

Alors la petite Hillman était une auto qui allait faire son tour au garage Champlain de la rue du Pont où papa travaillait. Papa aimait bien ces petites voitures étrangères. Je ne sais pas s’il connaissait toutes ses particularités? J’aurais bien aimé les lui faire connaître.

Une Hillman 1956

La Hillman que papa avait ramenée à la maison était une version van appelée Commer Cob. Cette compagnie faisait des fourgonnettes sur des versions Hillman comme Westfalia faisait des campeurs sur des versions Volkswagen. La version Hillman était une Husky Mark VIII avec un moteur de 1,3  litres presqu’aussi gros que celui de la Yaris.

 J'en veux une

La petite Hillman Husky avait trois portes. La porte d’en arrière s’ouvrait sur le côté droit. Il y avait deux sièges baquets en avant et une banquette pleine largeur en arrière. Le dossier du banc pouvait se rabattre pour faire plus d’espace de chargement. Le moteur de quatre cylindres en ligne développait 35 HP et un seul carburateur Zenith. Elle avait une transmission à quatre rapports et un levier de vitesses au plancher. La radio et le chauffage étaient fournis en option.

Non Côme, y'en a pas de radio

Alors Gisèle, te souviens-tu du camion de cette photo de papa alors qu’il travaillait pour Rosario Morin dans les chantiers de Ferland et Boilleau? Non? On venait d’arriver sur la rue Napoléon chez madame Lalancette. Ben pas moi, parce que je ne suis pas encore né. On est en 1950 et papa a lâché les Autobus Crevier pour aller dans le bois.

Il est où Rosario ?

Sur la photo, on dirait bien que c’est un gros camion, mais ce n’est qu’un pick-up 1/2 tonne. On pourrait bien penser que c’est un Chevrolet mais non c’est un Dodge 1947 de série W. Ça pourrait être un 1941 jusqu’à 1947 car le modèle n’a pas changé. Mais en 1950, il a déjà 3 ans et pour Rosario Morin, c’est déjà vieux. C’est sûr qu’il est sale un peu. Je parle du pick-up, là, là. Alors le voici dans une version « showroom ».

Pas mal plus propre, hein ?

Ce pick-up a été produit de 1939 à 1947, autrement dit, il a fait la guerre. Il a un moteur de six cylindres en ligne de 218 pouces cubes (3.6 litres). C’est un moteur à tête plate avec les bougies sur le dessus et les valves sur le côté Il développait 95 HP, ce qui est pas mal plus fort que celui du Ford Model A roadster de mon oncle Yvan. Il avait une transmission à 3 vitesses avec levier de changement de vitesse au plancher. La suspension est à essieu rigide avec ressort à lames en avant et en arrière.

Un autre beau moteur carré 6 cylindres en ligne.

As-tu vu le carburateur et le "oil bath filter"?

Antoinette, embarque, on va faire un tour.

Et aussi, Gisèle, te souviens-tu du pick-up à mon oncle Roland? Tu étais bien jeune mais s’il l’a gardé assez longtemps, tu peux t’en rappeler. C’était un GMC 1937 fabriqué avant la guerre.

La belle famille à papa.

C’est une belle gang de Tremblay ça. Roland en habit et cravate, c’est un beau bonhomme. Mais c’est le pick-up qui nous intéresse. C’est un General Motors avec un moteur de six cylindres en ligne de 230 pouces cubes (3,8 litres) fournissant un beau 86 HP. Il s’en est fabriqué seulement 43,000 exemplaires. C’est normal, c’est l’année où il y a eu la magistrale grève des travailleurs de GM à Flint au Michigan, la ville de Michael Moore.

On t'a vu, Roland. T'as un béret blanc.

C'est à Valin, ça?

Pis moi, ce que je me souviens, c’est le pick up Chevrolet avec lequel papa était venu dîner lorsqu’on restait dans la maison à Germaine sur la rue Napoléon. C’était en 1957, j’avais quatre ans et Benoît, trois ans.

Je pense qu'il était rouge

Nous étions dans la cabine pour jouer et Benoît a pesé sur la quatrième pédale, celle qui est juste à droite de l’accélérateur. C’était le démarreur. Alors le moteur a tourné, le pick-up a avancé et on a frappé un poteau de la galerie. Évidemment, il a cassé.

T'as voit-tu la maudite pédale à droite de l'accélérateur?

Mais papa nous a même pas disputé.