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2021-11-22-La grande histoire – Le moulin de la rivière du Moulin

Un nouveau pan de la grande histoire : le Saguenay

 

La grande histoire de la famille Desmeules arrive à un autre pan : celui de ma génération. Épiphane, mon arrière grand-père arrive dans la région du Saguenay et cette région c’est la mienne. Ce nouveau pan de notre histoire devient plus précis et a besoin de références actuelles pour bien le situer. C’est dans ce pan de l’histoire que je vais naitre et je m’identifierai plus souvent. C’est mon histoire, après tout.

 

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Et il fera grand bruit

 

 

Ce nouveau pan commence par l’arrivée de mon arrière grand-père Épiphane au Saguenay, par le bateau le « Saguenay » qui accoste au port à côté du boulevard Saguenay qui n’existe pas maintenant. La marina de Chicoutimi sera construite juste à côté. Le train terminera sa trajectoire à la gare qui sera implantée juste de l’aut’bord du boulevard. Lorsqu’Épiphane descend de la passerelle, il voit une côte en terre battue juste en face. C’est la côte Salaberry. En haut de la côte, il n’y a pas de cathédrale mais un peu plus à droite, il aperçoit le clocher de l’église Saint-François-Xavier. Il est arrivé à Chicoutimi, la ville de Peter McLeod fondée en 1842. Épiphane vient d’avoir 18 ans.

 

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C'est-tu une vraie photo ? Oui, mais...

 

Cette photo mérite quelques explications. En bas à gauche, c’est écrit Artotypie, Brevetée. Le mot semble en français mais il ne l’est pas. Il n’existe qu’en anglais soit Artotype. Il était utilisé à l’époque de la photo qui a été prise en 1880. Le mot vient de Art et de Autotype. Autotype est un ancien procédé photographique utilisant les pigments de carbone. On est loin du numérique. Sur la photo, on voit très bien l’église de Saint-François-Xavier qui est située en haut de la côte Salaberry. Plus tard, juste à gauche, c’est la cathédrale de Chicoutimi qui y sera construite. En bas de la côte, c’est là que le bateau le « Saguenay » a accosté. On voit très bien le chemin qu’Épiphane a emprunté. C’était la rue Racine et plus loin, près du Saguenay, c’est le boulevard Saguenay Est. En passant, la photo a été prise sur le terrain en avant de la maison à Line et Robin Desmeules, mon cousin.

 

Retour à la grande histoire

 

Épiphane n’a pas vraiment dormi dans sa « boiler room ». IL est quand même de bonne humeur. Après l’accostage, tous les passagers quittent le navire. Ce n’est qu’après le dernier qu’on vient le chercher. Il comprend vite qu’il n’est pas de la même classe sociale et qu’il ne peut pas se mélanger à ces touristes. De toute façon, il ne parle pas anglais.

 

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On parlait des touristes, Fiodor.

 

 

Il fait beau et chaud en ce 15 avril 1870 et merci, mon Dieu, c’est vendredi. Chicoutimi est un beau village et plus gros que celui de Saint-Alexis de Grande-Baie. C’est drôle, mais en voyant la côte, il a une envie d’aller boire une grosse bière. Oublie ça, arrière grand-père, ce n’est pas de ton temps; moi je vais m’occuper de ça.

 

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Une grosse Boswell

En 1870, c'était la brasserie la plus considérable

de Québec, exportant à travers le monde.

 

 

Épiphane doit se rendre au moulin de Price Brothers and Company à la rivière du Moulin mais il n’a aucune idée vers où se diriger. Il demande à un débardeur et apprend avec joie que c’est à une demi-heure de marche vers l’est. Oui mais c’est où l’est? Par là qu’on lui répond. Il met son baluchon sur son dos et se dirige par le seul chemin en direction de par là. Avec sa barbe et sa casquette, il ressemble au capitaine Haddock.

 

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C'est vrai qu'il lui ressemble

 

 

Il monte une côte et tourne à gauche. Il y a quelques maisons et beaucoup d’arbres. Un peu plus loin, il n’aperçoit pas la « Fée des Bois », première sculpture réalisée par Raoul Hunter en 1960. À partir de là, le chemin longe la rivière Saguenay jusqu’à la rivière Langevin. Ce n’est pas la rivière du Moulin? Oui, mais non. Avant que Peter McLeod ne construise son moulin, la famille Langevin s’était installée à l’embouchure de la rivière Papawitish, premier nom amérindien de la rivière. La famille y avait construit un moulin à farine. Quand Joson et le capitaine Sivrac passaient en face sur leur bateau, ils voyaient un moulin à farine, et donc, ils parlaient tout naturellement de la rivière du Moulin. Mais pour les terriens qui connaissaient la famille Langevin, c’était la rivière Langevin. Plus tard, quand Peter McLeod a construit son moulin à scie, le nom est devenu officiellement la rivière du Moulin. La rivière du Moulin est à Chicoutimi et deviendra le quartier Rivière-du-Moulin beaucoup plus tard avec deux paroisses : Saint-Isidore et Saint-Nom-de-Jésus. Et c'est dans cette dernière qu'on a célébré mon mariage.

 

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Vue de l'embouchure de la rivière du Moulin

à partir de l'hôtel Parasol

 

Alors, arrivé à la rivière au nom confus, Épiphane tourne à droite et remonte la rivière jusqu’à la première chute. C’est là qu’est située la scierie et ce sera son nouveau lieu de travail. À proximité, il trouve un camp de travailleurs et ce sera son nouveau domicile. Bonne continuité Épiphane.

 

La croix de Sainte-Anne

 

Lorsqu’il a mis les pieds sur le quai de Chicoutimi, il n’y a pas que le clocher de l’église qui attira l’attention de mon arrière grand-père. Au loin, vers le centre-ville, sur la rive nord, il la voit : c’est la croix de Sainte-Anne. C’est une grosse croix en bois dressée sur le plus haut sommet des deux rives du Saguenay, sur le cap Saint-Joseph.

 

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L'artisan Émile Ruel a refait la croix en fer en 1922

 

C’est monseigneur Charles-François Baillargeon, archevêque de Québec, … oups, je me suis trompé. Si c’est un archevêque, il faut dire, son excellence. Alors, son excellence a invité les paroissiens à dresser une croix afin d’avoir un lieu pour prier la bonne Sainte-Anne afin de protéger les gens qui traversent le Saguenay en bateau. Elle est considérée comme la patronne des navigateurs. Est-ce que maman le savait? Ça fait déjà sept ans qu’elle est là et il n’y a jamais eu d’accidents de traversiers. Ne devrait-on pas en faire une pareille à Matane pour le traversier F.-A. Gauthier?

 

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Parti à la dérive mais rattrapé par le remorqueur

 

 

Louis Riel

 

C’est un homme politique canadien. Sa mère est francophone et son père est métis. Ça commence mal. Il devient le chef d’une communauté administrée par la Compagnie de la Baie-d’Hudson et établie près de Winnipeg. C’est un peuple de métis constitué d’un mélange d’amérindiens, de canadiens français, d’écossais et d’anglais et en plus, ils parlent français et sont catholiques. Ils tentent de s’affirmer comme un peuple distinct. Tiens donc, ils nous ressemblent.

 

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Louis Riel au centre de sa bande

 

L’année passée, avant qu’Épiphane arrive à Chicoutimi, des colons de l’Ontario, anglophones et protestants, sont venus mettre la pagaille au moment où Louis Riel voulait fonder la province du Manitoba et la faire entrer dans la confédération. La chicane continue et Louis, en tant que chef du nouveau gouvernement provisoire, fait fusiller un anglais du Parti canadien qui s’organisait contre les métis. Lundi passé, le 4 avril, le cas est discuté à la Chambre des communes. Plusieurs députés anglophones demandent la tête de Riel.

 

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Il ne faut pas écœurer les métis

 

 

Sauter du coq à l’ane

 

Oui, je comprends que vous vous demandiez pourquoi sauter du coq à l’ane dans cette histoire? Tout simplement parce qu’il y a un lien; ténu, je l’avoue, mais même ténu, c’est fort.

 

Non, ne me dîtes pas que j’ai oublié l’accent circonflexe sur le « a » de « ane », mon traitement de texte me l’a rappelé aussi. Mais il avait tort et vous aussi. En fait, j’aurais du écrire « asne » comme « Isle » de l’Isle-aux-Coudres. C’est du vieux français du XIV siècle et l’expression de l’époque était plutôt « saillir du coq à l’asne ». L’asne, c’est l’ancien nom de canne, la femelle du canard et saillir, c’est monter sur la femelle pour l’accoupler. Ce n’est pas moi qui le dit alors, s’il-vous-plait, ne me mettez pas à l’index sinon je vais vous montrer mon majeur.

 

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Ne jamais prendre ça au premier degré

 

 

Tout ça pour dire que ce ne sont pas des sujets décousus car ils se tiennent par un lien. D’abord, l’histoire de Louis Riel est pertinente car Épiphane va travailler au moulin de Peter McLeod, qui est métis, lui aussi. Et les métis du Manitoba ont une très forte ressemblance identitaire avec nous face à l’envahisseur anglais. L’histoire nous le confirmera. Pour la croix de Sainte-Anne, le lien sera dévoilé dans un autre chapitre.

 

Épiphane au moulin

 

Le travail dans une scierie requiert beaucoup de force et d’énergie. Épiphane a fait ses preuves dans les chantiers de bûcherons pendant l’hiver et manipuler les billes de bois sans les contraintes dues à l’hiver, c’est de la ti-bière. Le moulin-à-scie est construit à la première chute de la rivière. Il y a trois chutes sur la rivière. Je le sais, j’ai demeuré quelques années à Rivière-du-Moulin.

 

Pour faire fonctionner un moulin à scie, on utilise l’énergie de la chute d’eau pour faire tourner une roue hydraulique. Le moulin à Peter McLeod utilisait une roue à aubes. L’eau, provenant de la chute, coule sur le haut de la roue. Le poids de l’eau qui tombe sur les aubes fait tourner la roue qui entraine des courroies de transmission.

 

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Moulin à scie ou moulin à farine, c'est la même chose.

 

 

Après la mort de Peter, William Price, l’autre propriétaire du moulin a décidé de rénover le moulin en y installant une technologie nouvelle. Il a fait remplacer la roue à aubes par une autre roue hydraulique appelée la turbine Francis. Cette technologie française au départ a été récupérée par l’anglo-américain James B. Francis qui l’a popularisée en Amérique à partir de 1848 et qui lui a donné son nom.   La roue est normalement à axe vertical dans une cage en colimaçon. Aujourd’hui, presque toutes les centrales hydroélectriques incluant celles d’Hydro-Québec utilisent cette turbine Francis. Le moulin de de la première chute avait ce genre de turbine pour faire tourner la scie ronde et les appareils de manutention des billes de bois. Ne vous en approchez pas trop parce qu’il n’y a aucun garde de sécurité, on est en 1870, ne l’oublions pas.

 

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La turbine Francis

 

 

L’accident

 

Il y en a un qui l’a oublié, c’est François Morissette. On ne passe pas du coq à l’asne avec cette histoire. Elle est racontée à tous les nouveaux qui arrivent au moulin depuis cet événement. Le drame avait mis toute la population de Chicoutimi en émoi. Il y a une dizaine d’années, François avait environ 16 ans et travaillait pour la Price Brother’s and Co. Il était à l’étage sous le plancher de la grosse scie et ramassait les morceaux de bois qui tombait d’en haut. Il voit une courroie qui s’est échiffée un peu et pensant bien faire, il veut attraper l’effiloche. Il n’y a aucune madame de la CNESST dans les parages, alors il saisit l’effiloche. Malheureusement, elle s’enroule autour de son bras et l’entraine autour du « shaft ».

 

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Si seulement la madame de la CNESST avait été là

 

 

Son bras est arraché presque complètement au niveau de l’épaule  et même une partie de la peau recouvrant les côtes si bien qu’on voyait battre le cœur. On est allé chercher le docteur Cyrille Dubois, l’ancien médecin de Peter McLeod, lui-même. Il a fait l’amputation au niveau du cou, ce qui veut dire que l’épaule a été complètement sectionnée. L’opération s’est faite à « frette », sans anesthésie. On dit que François fumait sa pipe pendant l’opération mais que de temps en temps, il perdait connaissance.

 

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François est peut-être manchot mais il est très habile. 

Il est mort en 1933 à l'âge de 89 ans.

 

 

Épiphane a été ébranlé par cette histoire et il s’est promis qu’il se tiendrait loin des machines en mouvement. L’histoire se termine bien quand même car François s’est marié l’année passée avec Artimise Girard de Saint-Fulgence. Il faut croire que son bras gauche n’était pas le membre le plus important car il lui a fait une douzaine enfants.

 

 

Épiphane, s'il-te-plait, garde tous tes membres et fais ce qu'il faut pour que je vienne au monde. Surtout fais bien attention dans le prochain chapitre.

 

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22/11/2021
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