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2021-04-01-La grande histoire – Épiphane part pour le Saguenay

C’est à l’été de 1869, alors qu’il est âgé de 17 ans, qu’Épiphane part pour le Saguenay. Enfin l’opportunité s’est présentée. Son oncle Julien, un vieux frère de son père, s’est vu offrir un travail de maître fromager à Grande Baie. Il a décidé de partir à l’aventure au Saguenay avec sa femme Angélique et sa fille Delphine âgée d’une douzaine d’années seulement. Je ne veux pas partir de rumeur mais je pense qu’elle a été adoptée car Angélique a déjà 47 ans durant l’année de la naissance de la petite et on ne connait pas la date exacte. Elle n'a qu'un seul autre fils déjà âgé de 19 ans.

 

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L'écart d'âge est évident

 

Tout est allé très vite. La petite famille, qui demeurait à Pointe-au-Pic, s’est pointée à Saint-Agnès pour saluer le reste de la famille, c’est-à-dire le frère de Julien, sa belle-sœur Marguerite (veuve d’Isaïe) et ses quatre enfants. Lorsqu’Épiphane a appris que sa cousine et ses parents partaient pour le Saguenay, il n’a pas hésité un seul instant et les a supplié de l’emmener avec eux. Ça faisait longtemps qu’il mûrissait l’idée de quitter Saint-Agnès et là, l’opportunité se présentait. Pas question de la laisser passer. Sa mère n’est pas d’accord mais il ne se laisse pas intimider. Il n’y a rien à faire à Saint-Agnès et son esprit aventureux le pousse vers ce nouveau pays. La discussion est vive et Marguerite comprend que l’oiseau doit quitter le nid. Sur cette terre de misère, une bouche de moins à nourrir est une option à considérer. Julien est du bord d’Épiphane car il sera d’un aide précieuse dans cette aventure. Il faut convaincre la mère et les nomades décident donc de rester coucher pour ne repartir que le lendemain. Épiphane finit par gagner et c’est avec un enthousiasme disproportionné qu’il rassemble ses affaires pour embarquer dans l’expédition.

 

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Vas-y mon Épiphane

 

 

Comme pour son voyage à Québec, Épiphane ne dort pas de la nuit et il lui tarde de voir enfin le jour se lever. Son oncle est bien équipé. Il a un énorme chariot avec un attelage de deux gros chevaux. Plus encore, il tire un autre chariot pour la cuisine et le coucher. Épiphane a de l’expérience en voyage. Il se fera un nid au travers des meubles que contient le premier chariot. Ainsi il ne dérangera pas la petite famille.

 

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Avec les années, les chariots ont été restaurés

 

 

Épiphane fait ses adieux à sa mère, ses frères, sa sœur et son oncle célibataire. Il monte à l’avant du chariot avec son oncle Julien, trop heureux de faire un voyage vers l’inconnu. La journée sera belle : la température est douce, le soleil est à peine masqué par de vaporeux nuages  et sa cousine est très jolie.

 

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Ah la jolie cousine

 

La jasette commence aussitôt après le départ de Saint-Agnès. La première question à laquelle Julien doit répondre est comment se rendre au Saguenay avec un chariot alors que tous les voyages se font par bateau. Julien lui répond que justement, il y a une route d’ouverte à partir de Saint-Agnès depuis quatre ans mais elle est très difficile. Comme il y a un nouvel embranchement qui passe par Saint-Urbain et qui a l’avantage de se rendre à Baie Saint-Paul, il choisit cet itinéraire qui permettra un arrêt dans ce village. Avant, cette route n’était praticable que l’hiver, mais depuis une dizaine d’années, on peut y aller même en été. Saint-Urbain n’est pas loin de Saint-Agnès car sur l’heure du midi, on y est arrivé et on fait un arrêt pour le dîner.

 

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Saint-Urbain vous souhaite la bienvenue

 

D’un esprit très curieux, Épiphane essaie de comprendre pourquoi ce village existe ici, juste au pied de ces montagnes sur le bord de la rivière Du Gouffre. Même s’il n’y a pas de bureau d’information touristique, il réussit à apprendre qu’il n’y a pas que les grands pins rouge et blanc qui attirent les colons mais aussi la minéralogie. On le sait depuis que l’intendant Talon y avait envoyé un ingénieur en 1665. C’est pour ça qu’une compagnie anglaise (les compagnies sont presque toujours anglaises), la Titanium Iron Cie a eu la permission d’exploiter le minerai d’ilménite. C’est quoi ça? C’est une roche qui contient un mélange d’oxyde de fer et d’oxyde de titane et le titane est sans pareil pour améliorer l’acier. Même maman en a profité. Mais ça n’a pas marché longtemps parce que la compagnie a fait faillite après sept ans. Par chance qu’Épiphane a passé à Saint-Urbain à ce moment-là parce que sinon on en aurait jamais entendu parler.

 

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C'est beau du titane, hein maman !

 

 

Après cette pause touristique, le groupe reprend la route et c’est toute qu’une route. Il faut grimper une méchante côte. On n’a pas fini d’en voir des côtes parce qu’il faut traverser une chaine de montagnes. Par chance que les chevaux sont des bêtes de trait, pas vite mais forts. On arrête pour monter le camp pour la nuit sur le bord d’un petit lac pas loin de ce qu’on appelle aujourd’hui le Parc des Grands Jardins.

 

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Belle place pour arrêter

 

Les hommes préparent le feu et les femmes préparent le souper. La soirée est belle même si la fraîche commence à arriver. On en placote un coup. Épiphane apprend que son oncle est maître fromager. Pendant que son père, Isaïe, fréquentait le Séminaire de Québec, Julien, lui, allait travailler à l’Île d’Orléans pour apprendre à transformer le lait en fromage, rien de moins. L’Île d’Orléans est réputée pour son « raffiné de Saint-Pierre ». C’est un fromage de lait cru, forcément, puisque Pasteur n’invente la pasteurisation qu’en 1885.

 

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Préparation du Raffiné de Saint-Pierre

 

 

Depuis une dizaine d’années, la production du fromage est devenue une industrie structurée. À mesure que les arbres de nos forêts se font couper, les colons défrichent la terre et cultivent les champs. La production laitière prend de l’ampleur si bien qu’à Grande-Baie, il y a une dizaine d’années, le curé Louis-Antoine Martel crée une ferme école. L’entreprise Price (ben oui, le fameux William Price) s’en inspire et construit sa propre ferme modèle qui devient la référence agricole du Québec. Et plus tard, bien plus tard, une compagnie de jouet s’inspire du curé Martel et fonde la compagnie Mattel et produit une ferme jouet appelée « La ferme Fisher-Price ». C’est fort.

 

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Inspirant

 

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Inspirée

 

 

Comme l’industrie du bois commence à décliner, on diversifie l’économie et la production de fromage prend de l’importance. C’est comme ça que Julien obtient un poste de fromager pour la ferme. Le but est de produire du fromage avec les surplus de lait que les fermes environnantes doivent se départir. On fabrique le cheddar vieilli qui se vend bien sur le marché britannique, ce qui correspond au goût anglais et à monsieur Price évidemment, qui est lui-même très anglais. Le gens de Grande-Baie, tant qu’à eux, préfèrent le cheddar frais qu’on appelle le fromage en crottes. D’ailleurs la fromagerie Boivin, réputée pour son fromage qui fait squick squick, verra le jour en 1939 en ces lieux.

 

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Croque ta crotte

 

 

On se couche en même temps que le soleil. Il faut se reposer car la journée sera longue. Et elle l’est. Pendant toute la journée, les chevaux ont peiné à monter et descendre des montagnes. Ce n’est qu’en fin de journée que la dernière côte très abrupte est descendue et qu’enfin on arrive au lac Ha Ha. C’est ici, qu’on passe la nuit, juste avant d’arriver à Boilleau. Mais jamais on atteindra Boilleau car le village n’existe pas encore. Il ne fera parler de lui qu’en 1880.

 

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C'est devenu une belle halte routière

 

 

On fait la même routine que la veille. Cette fois, plutôt que d’entendre son oncle Julien parler de fromage, Épiphane met tout son intérêt sur la cousine Delphine. C’est avec tristesse qu’il doit lui dire bonne nuit. La nuit sera chaude et ses rêves le seront tout autant.

 

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Fais de beaux rêves, Épiphane

 

Aujourd’hui, c’est le dernier tronçon de route avant d’arriver à Grande-Baie. On longe la rivière Ha Ha et tout se passe très bien. La route est presque plate et lentement, la rivière les amène jusqu’à la Baie des Ha Ha. Quel spectacle. Une mer intérieure avec un village grouillant d’activités.

 

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Qu'il est beau mon village,

Se mirant dans la baie.

Paul Davis, 1960

 

 

On passe devant une belle école modèle, ouverte il y a seulement quatre ans. Épiphane ne le sait pas encore, bien sûr, mais il apprendra que la première maitresse d’école du village est madame Justine Boivin et elle deviendra sa belle-mère. On arrive bientôt à la ferme Price de Saint-Alexis de La Baie. Monsieur Robert Blair, en personne, les accueille. Il est le gestionnaire de la ferme et est reconnu pour utiliser des techniques innovatrices. Il leur montre la modeste maison qu’ils pourront habiter en attendant de s’en procurer une à leur goût.

 

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Modeste, tu dis?

 

Le lendemain, pendant que les femmes emménagent dans leur nouvelle maison, Épiphane et l’oncle Julien vont visiter la ferme modèle. On leur montre les nouvelles techniques innovatrices qui sont utilisées sur la ferme qui permettent de produire jusqu’à 100 000 minots de grains par année, ce surpassent la récolte de l’ensemble des terres du village Des races bovines réputées sont introduites et on les commercialise avec succès. Avec ses 800 acres de culture, ses 80 vaches, ses 100 chevaux et ses 100 employés, la ferme Price est « la » référence agricole au Québec. Épiphane se plait déjà dans ce milieu agricole industriel et sent qu’il va apprendre beaucoup de choses. Une nouvelle vie commence pour lui et il y mord à pleines dents.

 

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C'est très moderne. Ça me plait.



02/04/2021
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