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2021-01-17-La grande histoire – Épiphane dans la grande ville

À 13 ans, Épiphane est devenu un grand garçon. Il travaille fort sur la ferme de son oncle mais il commence à réaliser que la pauvreté ne s’éloigne pas de sa famille. Il est difficile de retourner cette terre de roches et d’y faire pousser le fourrage que les quelques vaches réclament. Même les patates qui ont fait la richesse de sa famille ne réussissent pas à grossir dans la terre rocailleuse. Il commence à penser que la belle vie est ailleurs.

 

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Elle est toujours ailleurs la belle vie

 

Sa tête aussi est ailleurs. Il ne l’avait jamais remarquée avant, c’est drôle, mais ce printemps, il la voit tout le temps. Elle demeure un peu plus loin dans le village de Saint-Agnès. Il la voit à l’église, le dimanche. À chaque fois, son cœur bat plus vite, sa respiration est plus courte.

 

Les cerisiers sont blancs,
Les oiseaux sont contents,
Revoilà le printemps, ah!
Je dors mal dans mon lit:
Ma voisine est trop jolie.
Est-ce normal, maman,
Ce merveilleux tourment
Qui m'fait rougir tout l'temps, ah?

 

Extrait de « Les cerisiers sont blancs » de Gilbert Bécaud

 

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Les cerises sont rouge pourtant

 

 

Épiphane comprend alors qu’il est amoureux. Il a commencé à réaliser qu’elle était devenue la première de ses priorités. Ça lui a prit deux ou trois messes avant d’oser et de réussir à s’asseoir juste à côté d’elle, ses parents ou ses frères faisant toujours obstacle. Quel bonheur que d’effleurer son manteau, de voir ses mains décorées d'un chapelet tout blanc et de sournoisement scruter son visage à la dérobée. Il l’a revue encore deux messes plus tard et son histoire d’amour se termina ainsi. Il ne l’a plus jamais revue. Il ne lui a jamais adressé la parole. Il n’a jamais appris son nom. Plus tard, il a su que sa famille avait quitté le village pour aller s’établir dans cette région éloignée pleine de promesses : le Saguenay. Les amours sont éphémères, mon cher Épiphane.

 

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En est-il toujours ainsi?

 

 

Nouvelle de dernière heure :

On vient d’apprendre la mort du président américain Abraham Lincoln, ce vendredi 14 avril 1865. Le seizième président des États-Unis a été tué par balle alors qu'il assistait à la représentation au théâtre Ford en compagnie de son épouse. L'assassin est un acteur et sympathisant de la cause confédérée des sudistes, John Wilkes Booth.

 

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L'assassin arrivait du côté jardin

 

 

Comme on le sait, le président Abraham Lincoln a combattu l’esclavagisme adopté par les états confédérés du sud pendant la guerre de sécession qui s’est terminée par la reddition du général Lee le 9 avril dernier.

 

Comme l’histoire se répète, espérons que les suprémacistes blancs pro-Trump qui ont envahi le Capitole, n’ont pas l’idée d’assassiner le nouveau président Joe Biden.

 

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Ce n'est pas toujours au théâtre qu'on assiste à des répétitions

 

 

De retour à Saint-Agnès. Pendant tout l’été de 1865 on entendit parler d’une machine formidable qui, comme les moulins à vent pour moudre le grain, pouvait battre le grain avant de l’envoyer au moulin. Cette machine s’appelle une batteuse-trépigneuse. La machine élaborée par un certain monsieur Desjardins de la rive sud, peut non seulement battre efficacement, elle est aussi munie d’un éventail permettant de vanner le grain; c’est-à-dire séparer le grain de son enveloppe extérieure. C’est fascinant.

 

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Nooon, pas tout de suite

 

 

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Ouiii, c'est ça.

La trépigneuse, c'est comme le moteur de 1 cheval-vapeur

 

 

On forma un regroupement de cultivateurs dans le but de mettre en commun le capital financier pour l’achat et l’utilisation de la machine pour tous les fermiers : on venait de fonder la coopérative de Saint-Agnès. La machine était vendue à Québec et l’achat a été conclu à la mi-août. Il ne restait qu’aller la chercher. C’est Romuald Bilodeau et Tadhée Tremblay qui se sont portés volontaires pour aller chercher la merveille. Épiphane a offert son aide pour le voyage et à sa grande surprise, on accepta. Un autre homme, qu’Épiphane ne connaissait pas, s’est joint à l’équipe. Il apprendra plus tard que c’était le trésorier du groupe, celui qui a fait l’achat et qui avait l’argent. On prépara deux chariots : un tiré par un cheval et recouvert de toile pour dormir et un autre tiré par deux chevaux, beaucoup plus gros, pour transporter la machine. On prévoyait une bonne semaine pour faire l’aller-retour : deux jours pour aller, trois jours pour revenir, une journée pour le chargement et une journée pour le tourisme.

 

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J'ai hâte de me coucher

 

 

La veille du départ, Épiphane n’a pas beaucoup dormi, trop énervé qu’il était pour ce voyage dans la grande ville dont on parlait tant. Il fait encore nuit noire lorsque le groupe se rassemble chez Thadée Tremblay pour atteler les chevaux et charger l’équipement pour le séjour : petit poêle à bois, marmites, ustensiles et nourriture. Épiphane monte avec Thadée sur le chariot de tête. Le convoi se met finalement en route à l’aurore. En regardant le ciel étoilé et la barre du jour, Épiphane tombe dans un grand calme. C’est la première fois qu’il quitte Saint-Agnès. Il part vers l’inconnu et l’aventure. Tout lui semble surnaturel.

 

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Oui et ce n'est pas un rêve

 

 

Malgré les arrêts fréquents pour faire boire les chevaux, ils arrivent à Baie Saint-Paul pour le dîner. Épiphane n’en croit pas ses yeux. Que c’est magnifique. Il y a plein de maisons et elles sont collées les unes aux autres. Et que dire de l’église, une gigantesque construction avec deux énormes clochers.

 

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C'est la deuxième église et non la dernière.

C'est bien celle qu'Épiphane a vue.

 

 

Le dîner est vite expédié. On veut arriver à Cap Tourmente avant la nuit et la route est sinueuse. Les chevaux sont mis à l’épreuve pour monter les interminables côtes. On arrive vers sept heures le soir. On prépare le camp de nuit. Les chevaux sont détachés et bien nourris. On prépare un feu de camp et on mange avant de plonger dans un sommeil réparateur. Il fait beau et chaud et Épiphane s’endort profondément dans le chariot qu’on appelle VR (Voiture de Repos).

 

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Le VR

 

Après une bonne nuit, on reprend la route pour Québec. C’est beaucoup plus facile car il n’y a pratiquement plus de côte à monter. Par contre, il y a beaucoup plus de circulation : presqu’à toutes les heures, on rencontre un autre chariot ou calèche. Il faut alors se ranger sur le côté pour laisser passer ces voitures rapides. Vers 10h on commence à distinguer les contours de la ville. Épiphane est tout énervé lorsqu’il aperçoit le Château Frontenac qui domine le Cap Diamant. C’est alors que Thadée le brasse vigoureusement et lui dit : "réveille Épiphane, t’es en train de rêver. Le Château Frontenac n’est pas encore construit, il le sera en 1893 et on est en 1865".

 

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Dans une trentaine d'années on va le construire ton château


 

Finalement, on arrive à Québec, dans la Basse-Ville. Épiphane sent des vibrations. Il ne comprend pas trop toute l’émotion  qu’il ressent mais nous on le sait. C’est ici tout près que le premier Desmeules, Joseph, est débarqué en arrivant de France. Rendu dans le centre ville, Épiphane est tout énervé lorsqu’il aperçoit la pharmacie Brunet. C’est alors que Thadée ne le brasse pas vigoureusement et lui dit : "tu es bien réveillé Épiphane car Wilfrid-Étienne Brunet a construit sa première pharmacie en 1855 juste là".

 

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Ok, la pharmacie a changé un peu mais c'est bien là

 

 

On s’installe pour la nuit sur le bord du futur Bassin Louise (rivière Saint-Charles). Le lendemain on se rend à l’entrepôt général où on peut prendre possession de la fameuse « batteuse-trépigneuse ». On charge la machine sur le chariot de Romuald Bilodeau et le tout est bien arrimé.

 

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La machine est bien arrimée

 

Pour fêter ce bel achat, on se rend tous à l’auberge pour y prendre un petit coup. Même Épiphane doit prendre un ti-coup de whisky. Tout à coup il se sent tout étourdi et euphorique. Bien calé sur sa chaise, ses paupières deviennent très lourdes et il s’endort. Comportement étrange pour certains mais pourtant fréquent pour un Desmeules.

 

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Un arrière petit-fils d'Épiphane a le même comportement

 

Aujourd’hui c’est jour de congé. On ne vient pas dans la grande ville sans s’y distraire un peu. Les quatre comparses de Saint-Agnès se remplissent les yeux de toute cette ambiance qui règne dans une mégapole (de l'époque, bien sûr). Épiphane n’en revient pas de tant de maisons, d’usines, de manufactures, de magasins et bien sûr de tripots.

 

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Impressionnant la grande ville

 

 

Mais ce qui le frappe le plus, c’est le tramway. C’est le nouveau moyen de transport en commun. Grâce à l’effort du futur maire de la ville de Québec, monsieur Pierre Garneau, le tramway est enfin implanté à Québec. Épiphane est très intrigué par la technique. C’est un chariot qui roule sur des lisses de bois et qui est tiré par un cheval. C’est ce qu’on appelle une ligne de tramway hippomobile qui vient juste d’entrer en fonction, il y a quelques jours, le 18 août 1865. Nos touristes s’achètent donc chacun un billet au coût de 5 cennes et embarque dans le wagon. Quand on sait que pour un passage en calèche c’est 25 cennes, il y a de quoi provoquer la grogne chez les cochers. Il y aura toujours une résistance au changement. Épiphane reçoit une carte avec la photo du tramway et la date d’inauguration. C’est un beau souvenir.  Ils avancent sur la rue Saint-Joseph et se rendent jusqu’au marché Champlain sur le bord du fleuve. L’activité est intense et les boutiques fournissent un paquet de souvenirs. Comment ne pas se laisser tenter.

 

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Le marché Champlain

 

Comme l’histoire se répète et aussi incroyable que cela puisse paraître, grâce à l’effort de l'actuel maire de la ville de Québec, monsieur Régis Labeaume, le tramway sera à nouveau implanté à Québec. Il provoque la grogne chez une partie des citoyens qui pensent que le tramway ne leur apporte rien sauf une augmentation de taxes; il y aura toujours une résistance au changement. En tout cas, le nouveau tramway de Québec pourrait entrer en opération en 2026. Il sera électrique donc pas de pollution, pas de crotte de cheval non plus.

 

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C'est pas encore fait

 

Après cette ludique journée, le groupe reprend le chemin du retour. Cette fois, les pauses sont plus fréquentes car avec le chargement, les chevaux ont besoin de se reposer plus souvent. Après les trois jours prévus, le périple se termine en début d’après-midi, un dimanche. Tout le village s’attroupe autour du chariot pour admirer la fameuse batteuse-trépigneuse. Épiphane est très fier d’expliquer le fonctionnement de la machine, lui qui a assisté à une démonstration à Québec. Il ne manque pas non plus de raconter son voyage à sa mère et toutes les choses extraordinaires qu’il a vues. Les voyages forment la jeunesse à ce qu’on dit.

 

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Vas-y Épiphane, explique nous ça



17/01/2021
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