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2020-04-07-La grande histoire – Isaïe se fait mettre la corde au cou

Connaissez-vous Louis-Hippolyte Lafontaine? Pas le tunnel, le premier ministre.  Après la révolte des Patriotes en 1839 et suivant l’Acte d’Union de 1840, on demeure  maintenant dans le Canada-Uni formé de deux entités comme avant soient le Canada de l’ouest et le Canada de l’est, anciennement le Haut-Canada et le Bas-Canada ou les anglais et les français. À l’ouest, c’est Robert Baldwin qui est le premier ministre. À l’est, c’est Louis-Hippolyte Lafontaine et à 34 ans, il est le plus jeune premier ministre canadien-français.

 

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Louis-Hippolyte Lafontaine

Il a un peu vieilli sur cette photo

 

 

C’est un moyen toryeu. Selon l’Acte d’Union, il est interdit d’utiliser la langue française au gouvernement. Ben lui, lorsqu’il fait son premier discours au Parlement de la colonie (le Canada est une colonie anglaise, ne l’oublions pas), il le fait en français, s’il-vous-plait.

 

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Maudit toryeu

 

 

Mieux que ça, il se met chum avec Robert Baldwin. Ce dernier accepte de lui céder son siège et Lafontaine se fait élire député de York (Toronto). Un ti-peu plus tard, par le même stratagème, c’est Baldwin qui se fait élire député de Rimouski. Les canadiens anglais n’aiment pas ça du tout. Plus tard, l’Angleterre donne un peu de lest aux colonies et en contrepartie, au lieu d’acheter « local » (disons dans les colonies), elle décide de se procurer le blé au meilleur prix sur le marché (mondialisation). Les canadiens anglais n’aiment pas ça du tout. Lord Elgin, c’est le gouverneur de la colonie, demande aux deux amis de former conjointement le gouvernement. Lui, il préfère donner le pouvoir aux réels élus du peuple. C’est ainsi qu’aujourd’hui, la fonction de gouverneur général du Canada n’est que symbolique.

 

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Ce n'est pas un symbole, c'est une farce

 

 

L’une des premières mesures adoptées par le nouveau gouvernement est de permettre l’usage du français au Parlement. Les canadiens anglais n’aiment pas ça du tout. Finalement, la première loi votée par le nouveau gouvernement Lafontaine-Baldwin , vise à dédommager les francophones victimes des représailles brutales des soldats britanniques lors de la rébellion des Patriotes. Les canadiens anglais n’aiment vraiment pas ça, mais alors là, pas du tout. Pourtant, une loi semblable venait d’être adoptée pour indemniser les victimes de saccages du Haut-Canada sans que cela ne provoque la moindre controverse. Faire la même chose pour les « frenchies »? Never!

 

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En plus, ils sont grossiers

 

Et voici ce qui arriva :

 

Le 25 avril 1749, la capitale du Canada-Uni est Montréal. Comme on n’arrive pas à s’entendre sur un site, la capitale de la colonie change tous les quatre ans. Ce jour-là, plus d’un millier de manifestants se rassemblent devant l’hôtel du Parlement. The Gazette (le journal anglo depuis toujours) lance un appel au soulèvement aux Anglo-Saxons.

 

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Papa allumait le poêle avec la gazette

 

 

La foule d’anglais, bien enivrés, avec à sa tête Alfred Perry, le capitaine du corps de pompiers de Montréal, saccagent et mettent le feu. Le Parlement et sa précieuse bibliothèque brûlent. Avec 25 000 volumes, elle constituait alors la plus riche collection de livres du Canada. Dès le lendemain, on tente de tuer le premier ministre Louis-Hippolyte Lafontaine. Les Anglos enragés se dirigent alors vers sa résidence et la saccagent, s’acharnant en particulier sur sa bibliothèque.

 

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Le feu du Parlement en 1849 à Montréal

 

Perry est arrêté pour crime d'incendie. Bénéficiant de complicités dans la direction policière, il bénéficie de conditions princières, avec repas plantureux et vins. Les autorités le libèrent après deux jours. C’est suite à ces événements que Papineau signe un manifeste pour annexer le Canada-Uni aux États-Unis.

 

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Alfred, pas intelligent, Perry

 

 

C’est à ce moment-là qu’on entend parler d’Ignace Bourget. Lui, c’est l’évêque de Montréal et avec tout ce qui se passe, il réussit à faire briller l’Église catholique pour contrôler le peuple francophone. Il n’aime pas du tout les idées de Papineau qui pourraient mener à une révolution. L’Église et les défenseurs du gouvernement en place associent le parti de Papineau aux « rouges » français qui viennent de faire une révolution alors qu’eux s’identifient aux « bleus » qui formeront le parti conservateur. On répétera souvent que le ciel est bleu et l’enfer est rouge.

 

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Ah bon, là je comprends

 

 

Avec ces affrontements, l’évêque de Montréal dénonce les « mauvais livres » et c’est le début d’une pratique de censure des livres et des idées qui pèsera très lourd pendant des générations. Il donne un élan qui fera de l’Église catholique  « l'institution dominante du peuple dominé ».

 

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Il n'y a que la bible qui est lisable

 

 

Isaïe a 21 ans et il vient de terminer son année de « Rhétorique », aujourd’hui on dirait sa première année de CEGEP. Il a décidé qu’il ne reviendrait pas à Québec. Il aime bien étudier mais il n’a jamais senti l’appel de la vocation. Il y a trop de sacrifices à faire. Avant de finir son semestre, les prêtres enseignants lui ont parlé de la tonsure. En effet, dans le cheminement du séminariste vers son ordination pour devenir prêtre, il y a le rituel de la tonsure. C’est un peu comme la circoncision sauf qu’au lieu de dégager le gland en coupant la peau, on dégage la tête en coupant les cheveux. Ok pour le gland, s’est dit Isaïe mais pas question qu’on touche à ses cheveux. Lui qui aimait tellement sa chevelure, il ne pouvait supporter qu’on l’ampute de quelque partie de cette anatomie comme pour son ami.

 

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L'ami d'Isaïe

 

Plus tard, il serait contraint de porter certains vêtements plutôt ridicules comme la « calotte ». Une calotte, c’est une petite coiffe ronde pour les ecclésiastiques. Elle est la plupart du temps de la même couleur que les vêtements et s’ajuste parfaitement à la tonsure.

 

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Ouais, je préfère la circoncision

 

De plus, comme Isaïe est un grand lecteur, il est vraiment en désaccord avec Monseigneur Bourget qui met les livres à la censure. Il a un esprit libre et critique et il se sent capable de faire la différence en le bon grain et l’ivraie. L’ivraie n’est pas un petit livre mais une mauvaise herbe.

 

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C'est facile de voir la différence

 

 

Ensuite, il faut le dire, Joson commence à voir le fond de son BVBL qui est loin d’être un fonds FTQ. Pour toutes ces raisons, Isaïe ne retournera pas à Québec. Pendant cet été de 1849, il profite de son village natal. À tous les dimanches, il va à la messe. Il devient vite une figure importante du patelin puisque le curé l’invite souvent à venir chanter le  Kyrie eleison ou  le Gloria in excelsis Deo. En plus d’avoir une belle voix juste, il maîtrise fort bien le latin et, ne faut-il pas l’oublier, il était séminariste de Québec. Il était le chou-chou du curé.

 

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Chante et charme le curé

 

C’est ainsi que Marguerite l’a remarqué. Cette pauvre veuve éplorée (pas tant que ça finalement) jeta son dévolu sur Isaïe. Marguerite Desbiens a perdu son mari plusieurs mois auparavant. Elle n’avait pas eu d’enfant avec son François Tremblay qui était toujours parti dans le bois. En manque de chaleur humaine, elle ne tarda pas à rôder autour de ce beau séminariste inconnu. On ne le connaissait que très peu dans le village puisqu’il était toujours à Québec. Elle multipliait les occasions de rencontre et développa une grande promiscuité. Lui, se laissa charmer par son goût pour la lecture et elle, par son érudition. Quel homme intéressant capable de parler de la Rome antique et de citer des vers de Chateaubriand, Beaudelaire et Lamartine, elle qui s’emmerdait avec François, le coupeur de bois dont la poésie se résumait à son godendart.

 

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Pauvre François, un godendart n'est pas de l'art

 

 

Alors que Marguerite et Isaïe se promenaient dans la quiétude du petit boisé surplombant le fleuve, elle lui demanda de lui citer un vers de poésie. Sans hésiter, il choisit Lamartine et de sa voix douce et grave, il laissa sortir ces mots :

 

Ô temps, suspends ton vol ! et vous, heures propices, suspendez votre cours !

Laissez-nous savourer les rapides délices des plus beaux de nos jours.

 

Comment ne pas tomber sous le charme. Le cœur de Marguerite s’appropria de ces mots et les emprisonna pour toujours. Elle était vraiment amoureuse.

 

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Soupir !

 

 

Malheureusement pour elle, cet amour n’était pas partagé. Isaïe la considérait comme une grande amie qui partageait son goût pour les lettres mais du point de vue charnel, il y avait comme une absence. Malgré tout, ils continuaient à partager de bons moments.

 

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Non, l'amour n'est pas partagé

 

 

À l’automne, Isaïe décroche un emploi comme enseignant à l’école du village. Le professeur actuel était retenu à Montréal pour des raisons plus ou moins obscures. Le choix du remplaçant n’était pas difficile, aucune autre personne dans le village n’arrivait à la hauteur des connaissances d’Isaïe. Ce dernier prit grand plaisir à enseigner à ces jeunes. Si bien qu’il garda ce poste pendant les deux années suivantes.

 

Sa relation avec Marguerite était toujours aussi bonne et le jour où elle lui proposa de s’épouser, il accepta sans trop réfléchir. Au printemps 1851, le 29 avril, il lui passa la bague au doigt et elle, la corde au cou. Ce qui l’enchantait le plus, c’était la cérémonie nuptiale. Il aimait les couleurs des vêtements et toutes ces robes incluant celle du curé. L’église était bondée. Isaïe avait acquis une grande notoriété, étant le professeur de presque tous les enfants du village. Les commères voulaient se régaler de potins à propos de cette veuve de quatre ans l’aînée du marié.

 

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Il a dit oui ?

 

 

C’est le curé Beaudry qui officia la cérémonie de mariage. Après la messe, le curé invita les mariés et les témoins à signer le registre de la nouvelle paroisse de La Malbaie.

 

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Extrait du registre

 

Et voici, en termes plus clairs, ce qui est écrit :

 

Le vingt neuf avril mil huit cent cinquante un, vu la publication de trois bans de mariage faite aux prônes de la messe paroissiale de la Malbaie, entre Isaïe Demeule, cultivateur fils majeur de Joseph Demeule et de Constance Bouchard, d’une part et Marguerite Desbiens, veuve de François Tremblay, d’autre part; vu aussi que les dites parties étaient domiciliées en la paroisse de la Malbaie, nous, curé de la dite paroisse de la Malbaie, soussigné, avons reçu leur mutuel consentement de mariage et leur avons donné la bénédiction nuptiale en présence de Joseph Demeule, père, et de Pierre Bergeron, ami de l’épouse, de Louis Desbiens, père et de Timothée Desbiens, frère de l’épouse, lesquels ainsi que la dite épouse ayant déclaré ne savoir signer, l’époux seul a signé avec nous.

 

Isaie Demeule

 

A Beaudry ptre

 

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Tu aimes le décorum, Isaïe



07/04/2020
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