pharamen

J’ai peur. J’ai vraiment peur. Il fait noir. Il fait très froid. J’ai mal dans tout mon corps. Je suis vraiment découragée. Je n’y arriverai pas. Je vais mourir. Mais à bien y penser, j’ai de moins en moins mal. Je suis engourdie. Je ne sais plus si je dors ou si je suis réveillée. J’ouvre les yeux et je vois qu’il fait jour. La lumière passe au travers des planches fendues.

« There is a crack in everything, that’s how the light gets in ».

Leonard Cohen

Mais je ne sortirai pas. Je n’en ai pas la force. J’aurais dû lui faire confiance. Il m’a appelé mais je n’ai pas voulu allé le voir. Il m’aurait aidé. Il me l’a dit. Quand on t’abandonne, on ne fait plus confiance. Je vais fermer les yeux et je vais essayer de ne plus les ouvrir.  Le froid anesthésie tous mes membres. C’est un bon temps pour mourir, c'est décembre 2013, il fait moins 30 degrés.

Tiens, une porte s’ouvre. La lumière du jour éclaire mon charnier. Une dame m’aperçoit et prend un air attristé. Elle s’approche lentement. Je ne bouge pas, je ne peux plus. Elle met sa main sur ma tête et me caresse doucement. J’ai espoir et elle m’entraîne à l’extérieur. Après discussion, on m’emmène dans la cave chauffée d’une autre maison. On me couche sur un beau gros tapis confortable. On me donne de l’eau et de la nourriture. Je reprends vie. La mort a décidé de s’en aller. Le lendemain, celui qui a voulu m’aider et à qui je n’ai pas fait confiance revient. Il me veut du bien, je le sais maintenant. Il m’emmène chez lui, sur la galerie, pour me présenter à celle qui ne me touchera jamais. Quel beau souvenir, il fait moins 29 degrés, c’est le dernier jour de l’année. Je m’en rappelle très bien.

Je me sens revivre. Je ne sais pas quelle sera cette nouvelle vie

mais je sens qu'elle sera palpitante. 

Maintenant, vous me reconnaissez. Je fais partie de la famille. Ce jour-là, Réjean m’a fait monter dans son auto. Il avait pour mission de m’emmener à la SPCA mais il a pensé que son frère Jean-Luc aimerait me voir. Je suis charmante après tout. Je ne suis pas repartie. Il n’a pas voulu. Comment une personne aussi sensible ne tomberait pas sous mon charme. Le lendemain, c’est officiel, en cette nouvelle année 2014, je deviens la compagne de Jean-Luc. Il me donne un nouveau nom, Capucine. C’est tant mieux, j’ai oublié celui que j’avais. J’ai même oublié mon ancienne vie. J’aime mon nom. C’est une fleur vivace. Il m’était destiné.

Cette fleur est comme moi, vivace et jolie.

C'est Réjean qui m'a dit de dire ça.

Jean-Luc prend vraiment bien soin de moi. Il consulte un vétérinaire pour un bilan de santé. Hormis mon état squelettique, j’ai une excellente forme. J’ai du chien, comme on dit. On m’offre une diète adaptée à mes besoins et en quelques semaines, je retrouve tous mes moyens. Je me sens revivre plus que jamais. J’ai repris confiance à l’humanité et je ne veux plus me séparer de mon compagnon. Je lui fais une confiance sans borne mais je me méfie des autres.

C'est sûr que je vais reprendre des forces.

Je fais deux ou trois promenades à tous les jours. Mon vieux aime bien marcher et moi aussi. Je mange super bien et ma couche est douillette. Il y a une seule ombre au tableau, les voisins d’en bas. Les humains sont très gentils mais les deux chiens sont hautains. Ils ne m’acceptent pas. Je suis rousse et je viens d’ailleurs. Nous ne serons pas des amis, c’est tout.

C'est un des deux. Il ne me fait pas d'effet du tout: trop macho.

Je suis très excitée ce matin. Je pars faire un tour de machine. Ce que j’ai compris, c’est qu’on va à l’Isle-aux-Coudres. Jean-Luc et Réjean sont en train d’y construire une maison. Aussitôt arrivée, je débarque de l’auto et me mets à courir partout. C’est grand et Jean-Luc me laisse découvrir sans ma laisse. C’est très grand et ça sent bon. Je souhaite qu’un jour je pourrai y demeurer tout le temps. Je sens la liberté et je cours partout.

C'est fou comme on peut courir partout.

C'est ça la liberté.

En septembre 2016, on déménage et Jean-Luc me dit qu’on va sur l’Isle-aux-Coudres pour y demeurer. Je suis comblée. Ça va faire maintenant bientôt 6 ans que je suis dans la famille. Je me suis fait un bel album de famille. Je voudrais vous le montrer.

C'est elle qui ne me touchera jamais.

Hélène ne peut pas me sentir mais elle m'aime quand même.

Pendant la construction de la nouvelle maison,

c'est moi la surveillante de chantier.

C'est Réjean qui m'a montré comment faire:

regarder et bien surveiller celui qui tient la perceuse.

Je le surveille et je le protège aussi. C'est mon compagnon.

Si quelqu'un veut lui faire du mal, je lui montrerai mes yeux

méchant et mes crocs canins.

Un bon feu de plage après le souper.

Je n'ai jamais été aussi bien.

Lui pis ces maudites vues plongeantes.

Je ressemble à un chien saucisse.

On dirait que je suis basse sur pattes.

Pourtant je lui avais dit de ne pas la garder cette photo-là.

Bon vous voyez bien que je ne suis pas un chien saucisse.

J'ai des grosses pattes mais je ne la voulais pas non plus

cette photo là: ma manucure n'est pas faite.

Je l'aime bien, mais j'hais ça quand il me joue dans les oreilles.

Je lui pardonne tout même quand il m'appelle l'enfant de chienne.

Il est tellement affectueux. Je n'hésiterais pas à dormir en cuillère avec lui,

mais il ne le fera jamais, Hélène est trop jalouse.

Lui, c'est mon oncle Côme.

Il est difficile d'approche. 

J'essaie bien de le séduire mais il m'ignore.

On dirait qu'il est gêné de m'aimer.

Dans le fond, je sais qu'il m'aime beaucoup.

Il a juste un peu plus de difficultés à s'exprimer.

Mais je finirai bien par le faire succomber à mes charmes.

La preuve: il m'a prêté sa cômeuse. Juste pour moi.

T'es fin mon oncle.

Dans mon enthousiasme, j'oubliais de vous présenter mon compagnon de vie.

On forme un beau couple, n'est-ce-pas?

Pis on est tellement bien dans notre chez-nous.

C'est ici que je veux mourir.

C'est qui qui a le plus gros nez?

Je vieillis, je le sais. Mais il me reste de bonnes années.

Je cours moins mais je marche beaucoup.

Mon poil a vraiment blanchi.

Merci pour le plancher chauffant. C'est vraiment confortable.

Je suis vieille maintenant. Je suis un peu nostalgique. Plus les chiens sont petits, plus ils vivent longtemps. Un chihuahua peut vivre 15 ans alors pour moi, je ne peux pas en espérer autant. Mais c’est ma vie de chien. J’espère que Jean-Luc s’y prépare. J’espère aussi qu’il ne s’acharnera pas à me garder en vie et diminuée. Au contraire, s’il veut être empathique à ma cause, qu’il me laisse mourir digne et qu’il s’empresse de se trouver un autre compagnon. Nous, les chiens, sommes les meilleurs amis des humains. Malheureusement, on ne peut pas les accompagner toute leur vie. C’est notre vie de chien. Jean-Luc, si tu le veux bien, après ma mort, ne va pas te chercher un bébé chien. À la place, trouve un chien qui n’a plus son compagnon humain. Tu te rappelles quand tu m’as adoptée. Tu m’as redonné la vie. Nous les chiens, on fait notre deuil rapidement et aussitôt que quelqu’un nous adopte, nous lui confions notre vie et nous lui restons fidèle jusqu’à notre mort. Quand ce sera le temps, laisse-moi partir, laisse-moi revivre dans une autre vie de chien. Je te laisse mon album photo.

Capucine