2020-03-09-La grande histoire-Appendice H-Les cailles
Lors de la construction de notre maison à l’Isle-aux-Coudres, nous avons installé des plinthes de chauffage électriques. Rien de plus simple comme système de chauffage, c'est le système le plus couramment utilisé de nos jours. C’est pour ça que tout le monde connait la plinthe électrique.
Une plinthe électrique
Alors que je m’affairais à poser les dites plinthes, voilà tu pas que Jean-Luc me demande combien j’installais de « cailles ». Comme je ne connaissais pas ce mot, je le regarde et l’interroge sur ce qu’il voulait dire par « cailles ». « Ben voyons, Réjean, une caille électrique pour le chauffage », me répond-t-il. « Ben, ché pas c’que cé », de lui rétorquer. Et nous voilà partis pour un débat sur la langue. Depuis ce temps, je cherchais d’où pouvait bien provenir ce mot.
Sans cailles de chauffage,
on a des poules sans chauffage
En fait, je ne connaissais que deux définitions : l’oiseau et les cailles pour la salade.
L’oiseau
Les cailles sont de petits oiseaux migrateurs. Elles ressemblent beaucoup aux perdrix, bien que plus petites.
Allô! ma caille
Ces oiseaux sont un gibier recherché qu’il faut cuire de façon à rendre tout la saveur de ce volatile. La recette la plus connue est celle de la « caille en sarcophage » du festin de Babette.
Une caille en sarcophage, miam miam
Selon Alexandre Dumas : « Une caille bien grasse plaît également par son goût, sa forme et sa couleur. On fait acte d'ignorance culinaire toutes les fois qu'on la sert autrement que rôtie et en papillote, parce que son parfum est très fugace et que, toutes les fois que l'animal est en contact liquide, son parfum se dissout, s'évapore et se perd. »
On voit bien qu’Alexandre était un homme de lettres mais aussi de bonne chère. C’était un écrivain français qui a vécu en même temps que Isaïe Desmeules, mais un peu plus longtemps.
Alexandre Dumas, homme de lettres et de bonne chère
La salade aux cailles
Tout le monde au Saguenay connait la salade aux cailles qui accompagne les patates fricassées et le baloné.
Elle pourrait accompagner les cailles en sarcophage,
hein Babette?
Tout comme la tourtière, c’est un sujet qui suscite les passions. Il y en a qui adore la salade aux cailles (la plupart des Desmeules) et d’autres qui grimacent. Beaucoup disent qu’ils n’aiment pas mais n’ont jamais osé goûter. D’autres enfin qui disent qu’ils n’aiment pas, qui ont osé goûter mais que c’était juste pour ne plus se faire achaler.
Toi, t'es pas une Desmeules
Mais qu’est-ce que les cailles de la salade aux cailles? C’est simplement du lait fermenté. Comme les gens n'avaient pas de moyens de conservation à l'époque, le lait fermentait et était utilisé ainsi. La tradition s'est donc un peu perdue au Canada et au Québec, mais c'est resté dans les mœurs au Saguenay.
On ne se trompe pas
Le lait fermenté, c’est du lait caillé. Et voilà pourquoi beaucoup de gens n’aiment pas la salade aux cailles du Saguenay, c’est parce que c’est du lait caillé et qui dit caillé dit passé date. C’est vrai que ça sent pas bon du lait caillé mais que dire du fromage? Le lait caillé provient de la coagulation du lait. Bon ça nous aide pas pour le faire apprécier.
Ça sent le fromage?
Résumons : les cailles, c’est du lait fermenté et du lait fermenté, c’est du lait caillé et du lait caillé, c’est du lait coagulé.
Pour obtenir le lait fermenté naturellement, on le laisse un à deux jours à la température ambiante, sans couvercle, sous l'action acidifiante de bactéries. On peut aussi ajouter un peu de vinaigre ou de jus de citron pour accélérer la réaction biochimique.
C'est du vrai lait caillé
Cette réaction fait intervenir la lactase, une enzyme qui transforme le lactose (sucre du lait) en acide lactique. C’est pourquoi le lait fermenté peut être consommé par les personnes intolérantes au lactose. Ces personnes sont souvent les mêmes qui n’aiment pas la salade aux cailles (3,25 % de matières grasses) mais qui aiment tellement la salade à la crème (35 % de matières grasses). Ceux qui sont forts en arithmétique ont déjà calculé que c’est 10 fois plus de matières grasses. Ha ha.
Du lait, c'est gras mais pas trop
De la crème, c'est gras mais vraiment gras
Ceux qui aiment le fromage, sachez que la première étape de fabrication est le caillage du lait. Le produit obtenu s’appelle le « caillé ». C’est ce qu’on appelle aussi le fromage frais. Chez-nous au Saguenay, on peut lui donner trois noms : le fromage en grain, le fromage en crottes ou le fromage skouik-skouik.
Ça fait que ceux qui n’aiment pas la salade aux cailles, pensez-y encore un peu.
Fromage en crottes
Bull cheese
Les cailles à Jean-Luc
Oui, je sais, on s’est quelque peu éloigné des cailles de chauffage à Jean-Luc. Eh bien voici l’origine du mot « caille » utilisé pour désigner une plinthe de chauffage. Vous connaissez d’où vient les mots « bécosse », « enfirouappé » et « bacaisse ». Ça vient de l’anglais qui signifie « back house » (la toilette extérieure), « in fur wrapped » (enveloppé dans la fourrure) et « back ease » (sac pour transporter le bois de chauffage sans se forcer le dos). Comme on avait de la misère à prononcer les mots anglais, ça sortait tout croche.
Sept? Tant que ça?
La « caille » c’est tout simplement une mauvaise prononciation de « coil ». Dans les années 1950, on avait des calorifères dans les maisons. Le système de chauffage central de la maison chauffait de l’eau qui circulait dans les calorifères. Le mot « calorifère » est un vieux mot mais il peut encore être utilisé aujourd’hui pour désigner des plinthes électriques. Un calorifère est un radiateur de chauffage et en anglais c’est un « heating coil ».
C'est beau un calorifère, hein Jean-Luc?
It is nice a heating coil, isn't it, Jean-Luc?
Dans un des livres de l’abbé Blanchard, il est écrit : « Faut qu’j’aille voir à ma caille, voir si ya d’l’air dedans ». Et ceux qui connaissent le fonctionnement d’un calorifère ou ceux qui ont connu ce système (quand on restait à la Carrière) se rappellent qu’il fallait « bleeder » le système à tous les automnes. Il fallait donc saigner le système, c’est-à-dire, faire sortir l’air qui s’était accumulé dans le système.
Le petit piton noir en haut à gauche,
c'est le "bleeder"
Et dans ce temps-là on disait : « Il fait froid, qu’alors y faire?
Aujourd’hui, on dit : « Heille! Fais-tu frette? On est-tu ben juste en coton ouaté?
Y a pas de quoi se plinthe
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