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2020-01-23-La grande histoire – Langue française 101

Dans ce récit de la grande histoire, faisons un aparté. Laissons les pionniers de la Société des Vingt-et-Un découvrir le Saguenay et les Patriotes digérer leur défaite face à l’envahisseur anglais. Parlons plutôt de lord Durham et plus précisément de sa Loi de l’Union. Nous sommes en 1841 et selon l’article 41, la langue anglaise est la seule langue officielle de la colonie. C’était la première fois que, depuis la conquête de notre pays par les anglais en 1759 et aussi depuis la mort de notre ancêtre Charles Desmeules, l’Angleterre proscrivait l’usage du français dans un texte constitutionnel. Ce qui démontre de façon éloquente le désir d’assimiler les canadiens-français.

 

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C'est ça qui est ça

 

 

Il n’y a pas que ça. Pour en rajouter encore plus, l’abbé Thomas Maguire (ne prononcer pas « magoirre » à la française mais plutôt « magoyeur » à l’anglaise puisque c’est un nom anglais ou encore « magwère » en américain puisqu’il est américain) est venu critiquer notre accent en publiant un livre : « Manuel Des Difficultés Les Plus Communes de la Langue Française, Adapté au Jeune Age, Et Suivi d’Un Recueil de Locutions Vicieuses ».

 

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Il se vend encore pour ceux que ça intéresse

 

 

Ben oui toé. Y se prend pour qui lui? Et bien, je vous le présente :

 

Thomas Maguire est un américain né à Philadelphie dans l’état de Pennsylvanie. Il est le fils d’un immigrant irlandais catholique. Il est venu étudier au petit séminaire de Québec où un professeur signalait qu’il était doué d’un esprit « pénétrant ». Il devient prêtre bien sûr et plus tard, il devient abbé, mot qui veut dire « père ». À l’époque qui nous préoccupe, il est aumônier (père) du couvent des Ursulines, à Québec.

 

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Le "père" des Ursulines et son

esprit "pénétrant"

 

 

Et tenez-vous bien, il devient le premier linguiste de l’histoire de son pays. De quel pays? L’Irlande? Les États-Unis? Le Haut-Canada? Le Bas-Canada? On se croirait en plein multiculturalisme.

 

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C'est ça un linguiste?

 

 

Alors écoute-moé bin, le petit linguiste, voici le cours 101 pour les nuls de notre langue française. Un jour tu comprendras pourquoi le docteur Camille Laurin a rédigé la loi 101 en 1977. C’est toujours la même histoire qui se répète.

 

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Ça date pas d'hier le problème de la langue

 

 

Louis XIV, le roi de France qui régnait quand Joseph Desmeules a traversé au Canada, parlait comme ça : « Le roé cé moé ». C’était la langue de l’aristocratie, une langue de culture et de bon goût, parlée partout dans le monde. Même les anglais de l’époque aimaient parler ce langage.

 

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Pas l'king, le roé

 

 

Joseph a traversé l’Atlantique en emportant cette langue. Lui et tous les autres colons français de la Nouvelle-France parlaient comme ça : « La couvarte de la barline éta trop légearte pour aller à Montrial. On a resté cheu nous ». On disait : « sus la table, note maison, sarge et fret ». On disait aussi : « pére, gloére, nâtion ». On disait « França » pour Français, « yab » pour diable, « esquelette » pour squelette, « mouchouér » pour mouchoir, « accrére » pour accroire et « mécredi » pour mercredi.

 

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Un esquelette

 

 

Que s’est-il passé? Deux choses : la première est que les français du Canada, après la conquête des anglais, ont tous sacré leur camp. Ça fait qu’on est resté dans notre ti-monde. La deuxième est qu’en France, pas longtemps après, il y a eu la Révolution française (tsé la guillotine?). En même temps, il y a eu une révolution phonétique. On dit que le français a « évolué ».

 

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Il faut bien évoluer

 

 

Alors la prononciation a changé. Ainsi le « ouè » devient « oua » comme dans : pouère devient pouare, pouèsson devient pouasson, bouèsson devient bouasson. Le « è » devient « wa » comme dans : drèt devient drwat, étrèt pour étrwat, néyer pour nwayer. Le « u » devient « eu » comme dans : hureux devient heureux, ucharistie devient eucharistie. Le « ar » devient « èr » comme dans : parte devient pèrte, sarviette devient sèrviette.

 

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Sarviette ?

 

 

Ce n’est pas tout. Toutes les langues latines s’écrivent au son : l’espagnol, le portugais, l’italien et même le russe. Mais avec la Révolution arrivent les gratte-papier universitaires qui firent le contraire. Au lieu de continuer à écrire au son, on s’est mis à « dessiner » les lettres.

 

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Par exemple, on introduit des lettres grecques dans notre langue latine : « phi ». Ainsi, au lieu d’écrire « filosofi », on écrit maintenant « phi-loso-phi-e ». On aurait pu aussi écrire « phantôme » au lieu de fantôme comme le font les anglais avec « phantom ». Mais pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué. C’est pour ça que le français est devenu si difficile à apprendre. On peut bien vouloir revenir à « foto » plutôt que photo. En tout cas, il faut être sténographe pour comprendre ce que veut dire « écrire au son ».

 

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Il y a des sténographes plus jolies que d'autres

 

 

Ce n’est pas que l’accent de notre langue française soit critiqué qui soit le pire. Non, c’est que notre langue elle-même soit anglicisée. Avec l’article 41 de la Loi de l’Union, l’anglais est la seule langue officielle. Des traductions sont autorisées mais elles laissaient grandement à désirer.

 

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On se fait toujours fourrer

 

 

C’est ainsi que l’Assemblée législative était une traduction littérale de « Legislative Assembly », que le président de l’Assemblée était l’Orateur, traduction de « Speaker », que les projets de loi s’appelaient des « bills », qu’une proposition était une « motion » et qu’elle devait être « secondée » plutôt qu’appuyée, que le Journal officiel s’appelait la Gazette officielle, traduction de « Official Gazette ».

 

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En chambre des communes

 

 

Finalement, il y a l’industrialisation qui provoque l’anglicisation de la langue. Les patrons et les cadres ne parlent qu’en anglais. C’était des hommes d’affaires canadiens-anglais et des immigrants anglo-écossais qui dominent la nouvelle économie. On connait déjà Molson à Montréal et Price au Saguenay, des anglais de même que Mackenzie et McCleod, des écossais.

 

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De gros anglais

 

 

La langue française devient de plus en plus contaminée dans les grands centres comme Montréal. Et près de deux siècles plus tard, c’est encore la même chose :

 

« Bon matin! Pour faire sûr de me faire comprendre, j’ai checké les angliscismes.

J’ai cédulé un appointement pour faire une application sur une job à l’année longue,

Mais j’ai cancellé parce que j’étais sous l’impression qu’ils voulaient mettre l’emphase sur

Sur mon intellect plutôt que mon physique. J’étais supposé laver le plancher, pas écrire

Un livre. Il me semble que ça fait du sens, non? »

 

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Un anglicisme est de l'anglais écrit en français

 

 

On est mieux de parler le "joual" que le français anglicisée. Il n'y a pas de faute sauf que ça fait un peu colon.

 

Voici un extrait de « Prière devant la Sun Life » de Jean Narrache, pseudonyme de Émile Coderre, écrivain québécois mort en 1970. Il écrivait en joual :

 

Fait's que nous autr's, vil' populace,

On croupiss' toujours dans notr' crasse ;

Qu'on soit jusqu'à la fin des fins

Des charrieux d'eau, des crèv' de faim,

Des bons à rien, des misérables,

Vu qu'ça s'rait ben épouvantable

Si qu'on d'venait bons citoyens !

 

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Jean Narrache parle joual

 

Même Tintin et le capitaine Haddock sont capables de parler le "joual":

 

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Pis moé, cé pour ça que j’me fais app’ler pepére pas papi.

 

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24/01/2020
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