pharamen

Les canadiens français vivent en pays conquis depuis le traité de Paris de 1763 suivant la bataille des plaines d’Abraham à Québec. Ce grand village résiste encore et toujours à l’envahisseur. En 1806, Pierre Bédard, chef du Parti Canadien à Québec, se chicane avec les anglais loyalistes par journaux interposés, le Canadien contre le Mercury.

Maudite chicane

Il y a d’autres façons de résister  et une d’elles est de prendre le contrôle des voies de communication. Quelques brillants individus, passionnés de bateaux, de navigation et, avouons-le, de commerce décident de s’occuper de la voie navigable du fleuve St-Laurent. Une loi est adoptée par le gouvernement du Bas-Canada, le 25 mars 1805, par laquelle est fondée la Maison de la Trinité à Québec avec l’intention de construire des phares pour guider les bateaux et de les gérer, pas les bateaux, les phares. Le premier projet que la Trinité va réaliser est le phare de l’Île Verte.

C'est un beau logo mais c'est de l'appropriation

Pourquoi l’Île Verte? Demandez à un navigateur qui arrive de la Gaspésie et qui se rend à Québec. Avant d’arriver à la hauteur de Tadoussac et du Saguenay, tout va bien. Mais là, ça se complique : la profondeur de l’eau devient plutôt faible, il faut suivre un chenal où la profondeur de l’eau est bonne et il faut éviter de rentrer dans l’Île Verte qui est sur son bâbord. Alors le premier grand danger dans la navigation du fleuve commence à l’Île Verte et c’est une maudite bonne idée d’y mettre un phare. Et l’Isle-aux-Coudres? Attends, ça va venir, mais commençons par le commencement.

L'Île Verte, c'est la première d'une série d'îles dangereuses

En entendant parler de la Maison de la Trinité, les messieurs du Séminaire se sentent interpelés. La religion a le bras long et le monde est petit. Les séminaristes discutent avec la Trinité et comprennent rapidement qu’il n’y a pas une Ostie à faire là. Bons joueurs malgré leur méprise et avant de s’en aller, il recommande Jean-Marc Desmeules qui a joué un rôle important dans la construction de la chapelle de l’Isle-aux-Coudres et qui les fournit en patates et en Aquavit (chut! Pas trop fort). Ils pensent qu’il serait un atout pour les aider à la conception du phare.

OK les séminaristes, un trois mâts, c'est pas une trinité

Comme c’est sur leur chemin pour se rendre à l’Île Verte (ils sont en bateau, voyons), les gars de la Trinité s’arrêtent à l’Isle-aux-Coudres pour parler à Jean-Marc. Arrivés au quai, ils prennent Uber pour se rendre au sud de l’île où habite le célèbre Jean-Marc.

Toujours le même Uber

Une discussion s’engage et les idées fusent. Cependant, le Desmeules de l’île a une idée bien arrêtée pour une construction d’un phare dont la hauteur sera de 56 pieds. Il demeure poli devant les trois citadins mais il suggère fortement de construire le phare avec le principe des murs rideaux (voir 2016-02-13-La grande histoire-Jean-Marc et la chapelle). Mais la Trinité tient à une construction en maçonnerie. Jean-Marc a beau leur expliquer qu’une tour de cette hauteur nécessitera des murs d’une épaisseur extravagante à leur base et une quantité tout aussi extravagante de matériaux sans compter la main d’œuvre nécessaire pour manipuler tous ces matériaux ainsi que le temps nécessaire à sa construction. Il persiste à dire que le mur rideau est beaucoup plus adapté à une construction en hauteur et permet une structure légère autoportante. Rien ni fit et les messieurs entêtés de Québec demeurent sur leur position. Alors Jean-Marc est forcé de se soustraire au projet et décline sèchement leur proposition. Jean-Marc n’aura pas encore la possibilité de mettre à profit la technique du mur rideau. Mais un jour, un des ses descendants le fera et ce sera sur son île et pour un phare.

Croquis du phare des messieurs de 

La Maison de la Trinité

Même si les Desmeules n’ont pas été impliqués dans la construction du premier phare sur le fleuve St-Laurent, il faut admettre que le phare de l’Île Verte est directement lié à l’essor du commerce le long du fleuve Saint-Laurent. Finalement, on choisit monsieur Edward Cannon, maître-maçon pour la construction du phare. C’est un irlandais qui s’enrôle dans le corps de volontaires indépendants lors de la guerre d’indépendance américaine. Il s’établit par la suite à Québec avec ses trois fils. Ensemble, ils font la maçonnerie de la cathédrale Holy Trinity de Québec et ils construisent un hôtel de trois étages. Décidément, c’est le chiffre trois qui les conduisent à la Maison de la Trinité pour la construction du phare de l’Île Verte.

Finalement, c'est un beau phare quand même

Les marchands et les magnats de l’industrie du transport maritime de Montréal ont profité du nouveau système d’aides à la navigation pour développer la navigation commerciale à vapeur sur le Saint-Laurent. Comme Jean-Marc l’avait prédit, la construction d’un phare en maçonnerie était une aventure extravagante. Sa construction, débutée en 1806 ne se termine qu’en 1809. C’est en cette même année que le premier bateau à vapeur construit au pays est lancé. Il s’appelle « L’Accommodation ». Qui est le propriétaire et dirigeant de cette périlleuse entreprise? Je vous le présente : monsieur John Molson. Oui, oui le même qui fait la production de la bière du même nom. Maintenant on comprend pourquoi il y a un bateau sur le logo de la compagnie.

Monsieur John Molson

Et le bateau à voiles

La construction proprement dite de « L’Accommodation » débute en mars 1809, et elle est terminée au début d’août. Monsieur Molson avait décidé que ce bateau de haute technologie serait construit au pays. Ainsi, il renonce à acheter le moteur à vapeur en Angleterre. La ferronnerie et le moteur sont réalisés par des artisans de Montréal et de Trois-Rivières, qui construisent en un an l’un des premiers bateaux à vapeur au monde.

Un défi technologique

À cette époque, les Forges du Saint-Maurice sont le plus important et le plus moderne établissement du genre en Amérique du Nord, sans équivalent, même dans les treize colonies américaines. Les ouvriers spécialisés proviennent en particulier des régions de Champagne et de Bourgogne en France, réputées à l’époque pour leurs forges. On y fabrique pour l’essentiel des poêles (c’est là que le poêle de Joson a été fabriqué), des marmites, des socs de charrue et des enclumes, mais aucun moteur à vapeur de 40 tonnes… On doit donc faire preuve d’un rare savoir-faire, relevant à l’époque du prodige technologique.

 Les forges du St-Maurice de l'époque

L’année de sa mise à l’eau, L’Accommodation fait trois allers-retours entre Montréal et Québec. Il en coûte 9 $ pour remonter le fleuve et 8 $ pour le descendre et ça inclut les provisions. Sa vitesse moyenne est de 4 nœuds (environ 8 km/h) grâce à son puissant moteur qui développe 6 chevaux-vapeur. Cette unité de mesure a été introduite par monsieur James Watt, un Écossais qui a transformé la machine à vapeur embryonnaire en un moyen de production d’énergie fiable. Le cheval-vapeur correspond à la puissance d’un cheval tirant une charge. Curieusement, la puissance des moteurs d’auto à essence d'aujourd’hui s’exprime en cheval-vapeur alors que ceux des autos électriques s’exprime en watts.

Un cheval-vapeur équivaut à 735 watts,

à peu près la moitié d'un séchoir à cheveux

Voici ce qu’on pouvait lire dans le Quebec Mercury (on connait ce journal maintenant) du lundi 6 novembre 1809 :

« Samedi matin, à 8 h, avec dix passagers à bord, arrivait ici de Montréal le bateau à vapeur Accommodation. C’était son premier voyage, et c’est le premier vaisseau de ce genre qui soit jamais apparu dans notre port ».

Et non, le bateau ne s’est jamais rendu au phare de l’Île Verte.

Un bateau hybride pour résister aux changements