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La vie est belle à Murray Bay. Joson s'habitue tranquillement à son mode terrien. Le jardin a produit les légumes en quantité suffisante. Il a complété la construction de la maison. Le hangar à bois est plein et le poêle répand sa chaleur réconfortante. Les jours s'écoulent paisiblement et Ti-Loup profite bien.

La vie est belle à Murray Bay

Pendant ce temps, le 10 janvier 1801, à l'Isle-aux-Coudres, le curé Louis-Antoine Langlois baptisait Alexis, le fils de monsieur Amablo Mailloux et de madame Thôcle Lajoie, né deux jours auparavant. Il est important de souligner ce fait car Alexis Mailloux deviendra le premier curé de Saint-Roch-de-Québec en 1833. Trêve de parenthèse catholique, il sera le premier à écrire l'histoire de l'Isle-aux-Coudres et ça, c'est important.

 Alexis Mailloux, prêtre, curé, historien

Une bien belle histoire

Les semaines passent, le printemps revient, le jardin est semé. Joson doit maintenant défricher la terre afin de la mettre en culture. Il travaillera de longues journées à arracher les souches des arbres qui ont servi au bois de chauffage de l'hiver passé. La méthode est simple: il attache les souches avec des cordages et par un "hue" bien senti, il fait avancer ses deux chevaux. Ces chevaux sont aussi canadiens que lui. Ils sont d'une race bien particulière et unique.

 C'est du canadien pur crin

Le premier cheval à mettre le pied (ou le sabot) sur le sol du Québec arrive en 1647. Il était destiné au gouverneur M. de Montmagny. Les premiers véritables envois commencent en 1665 sur ordre du roi Louis XIV à raison de 12 juments et 2 étalons par envoi. Après 6 ans, le troupeau de 80 chevaux atteindra 12000 bêtes en 1760  juste par la reproduction naturelle. Ces chevaux ont travaillé fort, dans des conditions rudes et un climat rigoureux. Ils ont constitué une race à part, une race pure que l'on appelle aujourd'hui cheval canadien. 

Il y en a 1200 mais la photo a été tronquée

Tout comme les canadiens, ces chevaux venaient de Normandie et de Bretagne. Le cheval canadien partage les mêmes ancêtres que les chevaux de trait bretons, et ceux des grands percherons et belges alors qu'il est beaucoup plus petit.

Lui, c'est un percheron, la plus connue des races de chevaux français

À la mi-août, à la mi-journée, sous un soleil radieux et une légère brise venant du fleuve, Constance est apparue aux champs, apportant un goûter à son homme.

"Ce n'était pas pour manger la soupe, qu'elle s'étendit sur la couverte, 

Ce n'était pas pour troubler la brise, qu'elle soupirait comme un roseau,

Elle lui dit je voudrais être mère, fais comme il se doit fais comme il faut."

Paroles de Marie-Claire, un peu adaptées, de Jean-Pierre Ferland

De façon chevaleresque, Joson exauça le désir de sa femme sous les nasaux des étalons. Marie-Denise est née le 13 mai 1802 et vécut 70 ans.

Tant pis pour les chevaux, je préfère ta croupe
 

Après cette glorieuse chevauchée, Joson se remit aux labours. Il était temps: une terre non mise en culture dans les deux années suivant son octroi était donnée à un autre colon.

Il était bon ton goûter, Constance, vite aux labours

Ben non, papa, pas tout de suite,

ton cheval canadien devra attendre encore 135 ans.

Joson, ayant de l'eau de mer dans ses veines, a eu une idée farfelue au moment où Constance soupirait comme un roseau: la hempe. La hampe, en bon français, c'est une tige herbacée sans feuilles ni rameaux et destinée seulement à porter la fleur et le fruit. C'est aussi le chanvre.

La hampe (soupir)

Le chanvre

Alors, même si Jacques Cartier a mentionné dans son journal qu'il avait vu pousser de la "hempe" au Canada, il s'agit de savoir s'il voulait dire cannabis ou simplement longues plantes fibreuses. On sait que les français ont la mauvaise habitude d'utiliser plein de mots anglais. Alors on fait quoi? Eh bien on s'en fout.

Pour Joson, la hempe ou le chanvre, c'est la même chose et ça sert à faire des cordes. Il le sait parce que sur son bateau, il y en avait partout. Les fibres du chanvre étaient au centre de la puissance navale européenne entre le 17e et 18e siècle. Pour cause, en plus des échelles et des haubans, dans chaque navire de taille moyenne qui prenait le large, il y avait entre 60 et 80 tonnes de cordages et de 6 à 8 tonnes de voiles faits de fibres de chanvre.

Des cordages, je connais ça

Les monarchies européennes se tournèrent vers le Nouveau Monde comme une source alternative de cannabis. Des bonus étaient accordés pour la culture du chanvre. Alors, comme ancien marin, le choix de cultiver le chanvre est tout naturel. Joson a le sentiment sinon le pressentiment d'avoir fait le bon choix. Et c'est ainsi que Murray Bay se fit appeler Hempstead. Non, non, non, mais c'est ainsi qu'on retrouve de nombreux Hampshire, Hampstead et Hampton de part et d'autre de l'Atlantique. D'ailleurs mon oncle des États venait du New-Hampshire.

Hampton beach dans le New Hampshire, c'est concept.

Il est où le chanvre?

Vous avez une question? Le cannabis? Ah ouais c'est vrai, on a en parlé tantôt. Et vous allez me parler de marijuana, je suppose? Ok, on va essayer de se comprendre parce que Joson, lui, ne le sait pas non plus.

Le cannabis est une plante grimpante. La maman s'appelle Cannabis Sativa L. Elle a deux enfants: un garçon qui s'appelle Chanvre et une fille qui s'appelle Cannabis, tout comme sa mère. Elle est très populaire à l'école secondaire, si bien qu'elle a décidé de changer de nom pour faire cool. Elle se fait appeler Marijuana et elle fait rêver. Quant à son frère Chanvre, il a décidé plutôt de se joindre à son cousin Houblon. Ils ont tous les deux le même grand-père qui s'appelle Cannabaceae. Ils préfèrent la bière. C'est toute qu'une famille.

Pendant que Chanvre joue à la corde, Marijuana produit des cannabinoïdes  qui fait planer ceux qui la fréquentent.

Le houblon qui sert à la fabrication de la bière,

c'est dans la même famille que la marijuana?

Ah ben, est bonne çalle là

Joson ne connait rien à tout ça. Lui, dans ses rêves, il voit des cordages de bateau. Après avoir préparé la terre, il fait ses premières semences. À la fin de l'été, il est surpris de voir son champs de chanvre. Il ne croyait pas que c'était si facile de faire pousser cette plante.

Champs de chanvre. Prononcer: "champs d'chanvre"

Moins facile cependant de la transformer pour produire les fibres. À cette époque, la culture du chanvre demandait un procédé appelé rouissage pour préparer son usage. Les longues fibres extérieures du plant de chanvre devaient être séparés de la pulpe chènevotte interne, et cela était accompli en trempant les plants dans l'eau jusqu'à ce que la chènevotte soit pourrie, de manière à ce que la fibre soit ensuite facilement détachable. La moyenne pour le rouissage du chanvre est de 10 à 12 jours en octobre. Le rouissage est suffisant quand les fibres se séparent facilement les unes des autres sur toute la longueur de la tige. On achevait l'opération en l'étendant sur la prairie pendant quelques jours.

C'est vraiment chanvre rouissant

À  la fin d'octobre, Joson avait obtenu une bonne quantité de fibres de chanvre et il pouvait espérer vendre sa production aux commerçants français. Il croit que la culture du chanvre a un bel avenir. D'ailleurs, dans le futur en 2018, un champs situé à Terres-Rompues, voisin de la propriété d'un de ces descendants, servira à la production du chanvre pour au moins une saison.

Non, Hélène, je te dis que c'est du chanvre