2019-01-08-La grande histoire - Adieu l'Isle-aux-Coudres
Avec la naissance de Joseph Louis, vint le printemps. Il est trop tôt pour retourner à Murray Bay, le bébé est trop petit et de toute façon, il n'y a pas de bateau pour s'y rendre. Pour s'occuper, Joson aide son père à préparer les harts (prononcer "ârre" comme les gens de l'Isle-aux-Coudres) pour la pêche aux marsouins. Ah oui, on ne l'avait pas mentionné encore mais il ne fallait pas croire que Jean-Marc ne vivait que de la culture des patates. Mais non, il avait un petit "side line" qu'on pourrait appeler "travail secondaire". Secondaire que du mot car ce travail était très, très lucratif. Pour le côté lucratif, les Desmeules étaient créatifs. On connait déjà le commerce de l'alcool de Joson, maintenant apprenons la pêche au marsouins. Et plus tard, surprise, il y aura encore une trouvaille plus ou moins catholique.
Un "side line" payant
La pêche au marsouins est pratiquée depuis fort longtemps. En fait, quand Jacques Cartier est venu au Canada, les indiens pratiquaient déjà cette pêche. Un peu plus tard au 17e siècle, ce sont les Basques qui sont venus la pratiquer. Quand les messieurs du Séminaire de Québec firent l'acquisition de la seigneurie de l'Isle-aux-Coudres en 1628, ils ont tendu des pêches sur les battures pour tirer profit de cette activité lucrative. À cette époque, l'huile et la chair de marsouin sont très recherchés.
Ces messieurs du Séminaire ont flairé la bonne affaire
Qu'est-ce qu'un marsouin? C'est le nom que l'on donne aux habitants de l'Isle-aux-Coudres. Mais plus encore, c'est le nom d'un mammifère marin autrefois appelé cochon de mer. Il ressemble à un dauphin et vit dans les mers tempérées et froides. Il a des dents et cétacé épeurant. Le marsouin de l'Isle-aux-Coudres, ce n'est pas cela du tout. C'est un béluga, une petite baleine de 5 mètres environ, toute blanche et très sociable. C'est aussi un cétacé.
Un marsouin commun
Un béluga
Les messieurs du Séminaire, flairant la bonne affaire, ont décidé d'octroyer des permis de pêche aux habitants de l'Isle-aux-Coudres contre rémunération bien sûr. C'est ainsi que "la première permission de tendre une pêche supérieure (c'est une pêche au large sur la batture) fut accordée par M. Antoine Bédard, procureur du Séminaire, à la date du 10 novembre 1778. Les associés étaient au nombre de 28, dont le premier était Jean-Marc Desmeules". Joson n'a que trois ans à cette époque et comme cette pêche appartenait aux associés de son père, ce dernier avait un rôle de contrôleur plutôt que de pêcheur et Joson n'a surtout connu que les patates.
Jean-Marc et ses associés
Mais pourquoi parle-t-on de pêche au lieu de chasse et de poisson au lieu de baleine. En ce temps-là, tout ce qui vivait dans l'eau était appelé poisson. Ainsi, un marsouin était un poisson. Et pour renforcer ce concept, en ce temps-là, la religion catholique obligeait le jeûne de la viande pendant 150 jours dans une année. Pour ces journées, on mangeait souvent du poisson et aussi invraisemblable que cela puisse paraître, on mangeait des queues de castor car, comme il vivait le plus souvent dans l'eau, on le considérait comme un poisson. Disons que nos catholiques du temps étiraient un peu la sauce en leur faveur carnivore.
Hein? Un poisson, moi?
C'est pas une nageoire, c'est une queue.
Ouais, je viens de voir ta queue et
je vais attendre le poisson
Revenons à Joson et les harts. Une pêche à marsouins est faite de perches de bois enfoncées dans le fond de l'eau de façon à forcer les marsouins qui s'y aventurent à s'emprisonner dans le piège et s'empêcher d'en ressortir. Lorsque la marée descend, on entre dans la pêche avec des chaloupes et on tue les pauvres bêtes. Dans les bonnes années, on tuait jusqu'à 50 marsouins par pêche et on a même tué jusqu'à 320 marsouins dans une seule marée. Malheureusement, on a pas eu le bonheur de "sauver" toutes les bêtes. En 1800, alors que Joson aide son père à installer la pêche, les marsouins se font très rare si bien que 2 ans plus tard, les pêches à marsouins ne se tendaient presque plus.
Une pêche est faite de harts
Mais pourquoi tuer autant de ces bêtes? En ce temps-là, c'était pour l'argent. De nos jours ce serait ... pareil. L'appât du gain est humain semble-t-il.
Quel massacre !
L'appât du gain, d'abord pour les messieurs du Séminaire qui sans investir dans les pêches proprement dites, retiraient le tiers des huiles "entonnées dans des futailles". C'était donc le tribu à payer pour le permis de pêche. Les deux autres tiers étaient répartis entre les associés. On peut bien penser que les associés pouvaient faire le compte en leur faveur mais c'était sans compter justement sur la présence du sieur Joseph Dufour, lieutenant-colonel de milice, qui surveillait les intérêts des messieurs du Séminaire. Dans ce temps-là, on pouvait soudoyer un fonctionnaire en lui donnant un sac brun contenant des bouteilles d'huile de marsouin. De nos jours, on ne peut plus soudoyer un fonctionnaire parce qu'on a plus d'huile de marsouin.
Bonjour monsieur Dufour
J'ai un sac brun pour vous
Il contient de l'huile essentielle
Et c'est ainsi que les marsouins, disons les bélugas car nous connaissons la différence, sont pratiquement disparus. Non, ce n'est pas vrai du tout. Les bélugas sont revenus en grand nombre après 1802 et même certains associés ont racheté leur pêche des messieurs du Séminaire lors de la pénurie de bélugas. Et les bélugas sont revenus à cause d'une grande quantité de harengs qui ont approché l'Île.
Eille pitou, laisse les harengs aux bélugas
Non, les bélugas ont été volontairement exterminés car on croyait que c'étaient eux qui décimaient les bancs de poissons. À la fin des années 1920, le ministère de la colonisation des mines et des pêcherie a même fourni des carabines aux pêcheurs de morues pour tuer les bélugas. Jusqu'à la deuxième guerre mondiale, en 1939, on y allait rondement à la carabine et même à la dynamite. Il y avait une prime de 15 $ pour chaque béluga qui était attrapé. Pendant cette période, on a tué jusqu'à 500 bélugas par année dans le fleuve St-Laurent. Légende urbaine ou non, on dit même que le gouvernement a ordonné de bombarder les bélugas des airs avec des avions. Plus tard on s'est aperçu que les bélugas n'étaient pour rien dans la baisse des bancs de poissons et ce n'est qu'en 1979 que la chasse aux bélugas a été interdite.
Avion de chasse aux bélugas
Pour ceux qui veulent en apprendre plus sur la pêche aux bélugas sur l'Isle-aux-Coudres, visionner l'excellent documentaire "Pour la suite du Monde" de Pierre Perreault et Michel Brault réalisé en 1963 sur le lien suivant: https://www.youtube.com/watch?v=ISSX1AKY2kM
À la mi-mai, Ti-Loup, c'est le surnom donné au petit Louis, premier fils de Joseph, dit Joson, est emmitouflé (enfirouappé c'est pareil mais pour la boisson) et accroché sur le dos de Constance. C'est le grand départ de l'Île pour aller s'établir définitivement à Murray Bay. Encore une fois, Constance, mère, pleure le départ de son fils ainé. Elle se console en pensant à l'avenir de cette nouvelle petite famille qui prendra racine sur le continent.
Ti-loup prêt à partir pour Murray Bay
La température est belle. Il fait un soleil radieux et un doux vent nord-ouest pousse le bateau jusqu'à Pointe au Pic. Les Desmeules sont accueillis par les amis qui les hébergeront le temps que la nouvelle maison soit accueillante. Justement, Joson apprend avec bonheur que le poêle est arrivé et déjà livré dans la maison. Il en avait fait la commande directement des Forges-du-St-Maurice. Ne reste plus qu'à l'installer. Après deux semaines de travail, la cuisine et la chambre étaient habitables. Constance et le bébé ont pu emménager et la petite famille a pu jouir d'une nouvelle intimité. La finition de la maison pourra attendre.
Il n'est pas fini d'installer mais ça va chauffer
La priorité pour les Desmeules était de préparer un jardin afin de cultiver les légumes. Ils s'y appliquèrent tout le mois de juin. Pendant que la nature fait son œuvre, Joson construit les bâtiments nécessaires pour abriter les différents animaux de la ferme qui apportent la subsistance: poules, lapins, cochons. Joson achète deux chevaux de trait pour les travaux de la ferme. Pour cette année, ce sera suffisant. À l'automne, il faudra compléter la maison, l'isolation et le chauffage pour affronter l'hiver. L'année suivante, il faudra penser à défricher et cultiver la terre.
Le jardin, c'est un bon début
Et que dire d'un bon déjeuner.
Pendant ce temps, à l'Isle-aux-Coudres, que se passe-t-il? Rien ou presque. C'est la routine. Mais un événement loin de là aura un lien avec les insulaires quelques années plus tard. À St-Joachim, sur le Petit Cap, des jeunes séminaristes en camp de vacances jouaient avec un petit canon. St-Joachim est situé à côté de Cap Tourmente, pas loin de mont St-Anne. C'est donc sur la rive nord du fleuve vis-à-vis l'extrémité est de l'Île d'Orléans.
St-Joachim est à côté de Ste-Anne de Beaupré
Alors les petits séminariste ont décidé de tirer un coup et le canon explosa projetant Pierre-Thomas Boudreault qui se cassa un fémur. Comme l'Université Laval n'était pas encore fondée et encore moins le Centre Hospitalier Universitaire, le CHU de Québec, oublions les soins d'orthopédie. Le pauvre Pierre-Thomas a fini par guérir mais pas complètement. Il ne pouvait marcher qu'à l'aide d'une canne et d'une béquille et cela même assez misérablement.
C'est ce qui reste du canon
Le lien avec l'Isle-aux-Coudres, qui n'est pas le troisième de Québec, est que Pierre-Thomas Boudreault est le premier prêtre né sur l'Île et le neuvième curé de l'Île. Il prit possession de la cure en 1811. C'est digne de mention, n'est-ce-pas?
Pour compléter cette année 1800, le 27 novembre, Constance mit au monde le dernier enfant de Jean-Marc. C'est une belle grosse fille qu'on baptisa du nom de Geneviève Scholastique en l'honneur de la mère de Jean-Marc. La famille est revenue au nombre de 12 enfants.
Scholastique Desmeules, la dernière-née
Une belle grosse famille, c'est douze
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