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2023-12-22-La grande histoire-Une première histoire d’amour

Lorsque les chantiers d’hiver ont pris fin, Jos a dû retourner à regret à Metabetchouan. Il a vraiment aimé sa vie au chantier, tellement, qu’il n’a pas voulu prendre le congé de trois jours accordé par la compagnie. Il préférait la vie paisible dans la forêt et il en a profité pour écrire à ses parents. Le 5 avril 1897, Jos fêtait son 21e anniversaire et ce jour était important car il obtenait sa majorité. Ses amis bûcherons ne l’ont pas manqué. Ils lui ont retiré sa chemise et l’ont enduit de gomme de sapin bien gluante, autant sur le torse que sur son visage. Il en a eu pour la semaine à se dégommer.

 

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Enfin majeur

 

 

Et comme prévu, le chantier s’est terminé à Pâques. Tous les bûcherons ont pris le train le vendredi pour retourner dans leur village respectif et se préparer pour l’office du Vendredi Saint et célébrer la Passion du Seigneur. Seuls les draveurs restaient au chantier pour terminer le flottage du bois jusqu’à la scierie. Jos est retourné chez sa tante Exarine et son oncle Thomas-Louis.

 

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C'est à quelle l'heure, l'office?

 

 

Sa cousine Marguerite est toujours aussi belle et Jos toujours un peu troublé de la voir. Il valait mieux de se trouver du travail au plus vite. Il espérait continuer à travailler pour monsieur Jalbert mais la scierie du la Bouchette avait déjà toute la main-d’œuvre. Cependant, monsieur Jalbert projetait de construire un moulin de pulpe pour fournir à la demande croissante du papier journal. Il décide donc de rester à Saint-Jérôme afin d’être un des premiers à travailler à cette nouvelle pulperie. L’avenir est prometteur car à Chicoutimi, les messieurs Guay et Dubuc ont réussi à fonder la Pulperie de Chicoutimi et la construction de l’usine est commencée sur le terrain projeté où Jos a bûché l’année passée.

 

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Ça va être un beau moulin, monsieur Jalbert.

 

 

Pendant le mois de mai, il végète et ne trouve que de petits boulots pour les fermes environnantes. Mais à la mi-juin, coup de chance, la compagnie de chemin de fer a besoin de travailleurs pour détourner une partie des rails afin d’éloigner la voie du bord du lac. La montée des eaux après la fonte des neiges au printemps pendant les deux dernières années a fait craindre des bris importants. Il a été décidé d’écarter la voie afin de l’amener sur des terres un peu plus hautes et à l’abri des inondations du printemps. Jos est aussitôt aller se présenter pour l’embauche et comme il avait déjà les qualifications de « raillayer », il fut embauché sans autre procédure. C’est ainsi qu’à tous les matins, à la gare, Jos embarquait avec ses amis sur un chariot actionné par deux hommes pour se rendre au travail à moins d’un mille de la gare.

 

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On se rend au travail à tour de bras

 

 

En premier lieu, il fallait construire la voie de dérivation et plus tard démonter l’ancienne voie. La dérivation passe juste à côté de la ferme des Larouche et même si près de la maison qu’il était possible de voir à l’intérieur. Madame Larouche a rouspété quand elle a appris que le train passerait tout près de chez elle et malgré ses objections, la loi du plus fort a été la meilleure. Elle a dû abdiquer sans autre forme de procès.

 

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Les vaches vont sûrement avoir peur du train

 

 

Si le désagrément était grand pour la famille Larouche, il a quand même contribué à une belle histoire d’amour. C’est à la fin de juillet, alors que Jos travaillait à l’installation des rails de fer sur les dormants à proximité de la maison des Larouche qu’il aperçut la jeune fille des Larouche. Elle était de dos et il n’aperçut que sa fine silhouette et ses cheveux foncés remontés en chignon. Encore une fois, le cœur de Jos a fait un peu d’arythmie sans trop de dommage car la fille s’en est allée sans se retourner. Les jours suivants, Jos surveillait intensivement la maison des Larouche. Un jour, il la voit s’approcher de lui et de ses compagnons apportant une carafe d’eau  et une tasse en fer blanc. Avec une désarmante gentillesse, elle leur offre de se désaltérer avec l’eau fraîche qu’elle vient tout juste de tirer du puits. En la voyant si près, Jos se fige. Il ne peut plus bouger ni parler. Heureusement, un de ses compagnons, en la remerciant, lui demande son nom. En tournant son regard vers Jos, elle répond tout simplement : « Anna ».

 

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Attention à ton coeur, Jos.

 

 

C’est une histoire d’amour toute douce qui commence. Anna avait, elle aussi, repéré ce beau jeune homme portant fièrement une jolie moustache. Jos apprendra plus tard qu’Anna est la fille ainée de Joseph Larouche (décédé il y a quelques mois) et de Marie Bilodeau. L’histoire d’amour qui commence est la répétition de celle de l’aïeul de Jos, Joseph Desmeules, le premier du nom, venu de France, qui a été conquis par Catherine Dubeau à l’Île d’Orléans en 1707. À peu de choses près, la rencontre s’est faite dans les mêmes circonstances. Mais laissons Anna raconter son histoire d’amour avec le beau Joseph. Elle a 16 ans et lui 21 ans.

 

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Jos était aussi un très beau jeune homme

 

 

Moi, Anna, mon histoire d’amour

 

Ce jour-là, la jeune femme farouche que j’étais encore n’avait d’yeux que pour celui qui, par la force de ses bras, forçait le métal à s’enfoncer dans le sol sablonneux. Mais moi, je n’avais jamais ressenti ce désir. Ni ce vertige. Lui, tout à sa tâche dans la chaleur étouffante de l’été. La sueur perlait sur sa nuque brûlée par le soleil. Ses mains larges, aux doigts étonnamment fins, serraient le manche avec assurance, maniaient l’outil avec force.

 

Le vent d’été caressait mon visage et glissait ensuite jusqu’à lui. Mon cœur s’est serré, mes jambes tremblaient. La tête me tournait. Je ne doutais ni de moi ni de lui. Lui, qui ne m’avait encore adressé la parole. Lui, qui se retournerait enfin et me remarquerait. Celui qui m’a fait basculer dans un autre monde. Le sien. Il était midi. La sirène d’un train a sifflé la pause.

 

Puis, il s’est retourné. Et son regard est tombé sur le mien, qui l’attendait. Et nous nous sommes pour la première fois trouvés ensemble. Il a souri. Et j’ai tout de suite aimé son sourire. Son sourire était bon. Personne encore ne m’avait jamais souri ainsi, les yeux plantés dans les miens.

 

Il venait me rendre visite après ses journées de travail. Nous allions marcher. Il me parlait de sa voix grave et douce. De la maison qu’il avait quittée. Un mois après notre première discussion, il m’a emmenée en canot un dimanche. Nous avons pique-niqué sous un gros arbre. Il m’a embrassée. Mon premier baiser. Le sien aussi, je crois. Ses lèvres sur les miennes. Je goûtais pour la première fois à la sensualité d’un homme et j’en frissonnais. Je l’aimais déjà plus que tout, malgré moi.

 

Il a posé des lèvres fiévreuses sur mon cou. J’ai senti la douceur de sa langue sur ma peau, la puissance de sa main caressant ma cuisse, la pressant entre ses doigts. Il m’a déshabillée avec lenteur, glissant ses paumes sur les rondeurs de mon corps de jeune femme. J’ai découvert son corps avec la même fièvre qu’il a découvert le mien. J’ai plongé mes doigts dans ses cheveux en bataille, mon regard dans le sien. Amoureux. Nos deux corps soudés l’un à l’autre, j’ai senti la vigueur de notre amour.

 

Ma mère avait vu le changement qui s’opérait en moi dès le début sans que j’aie eu à lui en parler. Elle savait combien me coûterait cet amour. Mais aussi qu’il m’était impossible d’y renoncer. Entre nous, tout était dit, et elle s’est contentée d’être ma mère. J’aimais un homme! Quel péché cela était-il?

 

Note : Le texte en caractères gras qui précède est tiré du livre « Atuk » de Michel Jean, 2021. Il est intégral; aucun mot n’est changé, ni aucune virgule ou point. J’ai fait mon histoire à partir de la sienne car elle s’y prêtait si bien. Pour avoir emprunté ses mots, je souhaite que la lecture de mon histoire fasse augmenter son lectorat.

 

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Une très belle histoire

 

 

Le péché est dans le regard des autres et à cette époque, il ne fallait pas s’attirer la foudre religieuse et les calomnies des malveillants. Anna est enceinte, elle le sent bien et sa mère doit la protéger.

 

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Il faut s'en protéger

 

 

Marie a une longue discussion avec Joseph, l’amoureux de sa fille, à propos de l’enfant à naître. Elle n’a pas beaucoup de solution au problème que cette naissance va apporter. Pour sauver toute apparence, le mariage s’impose de lui-même. Joseph, sans aucun remord, car il est certain de son amour, est même enchanté d’unir sa vie à sa bien-aimée. Comme le temps des fêtes approche, il est convenu de célébrer son mariage avec Anna pour le mois de janvier. Jos ne part pas au chantier comme il le pensait car il a d’autres projets plutôt imprévus.

 

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La solution

 

 

Dans les jours qui suivent, les arrangements sont pris avec le curé de Saint-Jérôme pour la célébration du mariage fixé au mardi le 11 janvier 1898. Jos écrit à ses parents pour leur annoncer son union prochaine avec l’amour de sa vie. Rien ne pourra l’en empêcher. Le retour du courrier apporte une nouvelle plutôt très bonne à Jos. Ses parents sont enchantés de ce mariage. Même si les fréquentations ont été brèves, ils se réjouissent que Jos décide de se marier et de fonder une famille. Épiphane et Marguerite prendront le train, ce merveilleux transport moderne, et iront loger chez Exarine et Thomas-Louis le temps des cérémonies du mariage. Thomas et David vont s’occuper de la ferme et le travail sera facile surtout qu’en hiver il se résume au train quotidien de la traite des vaches.

 

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Le curé est très compréhensif

 

 

Jos est terriblement heureux et son amour pour Anna est bon à vivre surtout avec la compréhension de tous ces gens qui l’entourent. En attendant, Jos travaille sur la ferme de sa dulcinée, future belle-mère ayant vraiment besoin de beaucoup de support depuis le décès de son homme.

 

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Pauvre madame Larouche

 

 

À Noël, Jos et Anna se fiancent dans la plus grande simplicité. Sa tante Exarine et son mari sont invités à célébrer l’événement chez madame Larouche, Marguerite gardera les plus jeunes le temps du dîner de fiançailles. Une grosse tourtière de Charlevoix est au menu. On est en pays de connaissance car Exarine et Thomas-Louis sont originaires de Saint-Urbain de même que Joseph, le défunt mari de Marie. D’ailleurs Épiphane, le père de Jos et frère d’Exarine connaissait très bien Joseph Larouche lorsqu’ils vivaientt à Saint-Urbain.

 

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La vraie tourtière du lac Saint-Jean

 

 

Le nouvel an passe enfin et Jos a très hâte de passer la bague au doigt de son amour. Pour Anna, les jours ne sont pas toujours faciles. Elle a des maux de cœur et doit se reposer souvent. Les changements qui s’opèrent dans son ventre l’indisposent passablement. Le dimanche précédent le mariage, Épiphane et Marguerite arrivent en train comme prévu. Cette fois, Jos avait été prévenu de leur arrivée et il est allé les accueillir à la gare. Ça faisait plus d’un an qu’ils ne s’étaient pas vus. Les retrouvailles ont été chaleureuses et vivement, Jos a emmené ses parents chez tante Exarine. Tout ce beau monde était vraiment bien content de se retrouver en famille.

 

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Le train, c'est merveilleux.

 

 

Et comme prévu, le mardi matin, le mariage est célébré. Les gens qui assistent à un mariage un mardi matin en plein mois de janvier, le font comme s’ils assistent à un spectacle. Et comme il faut s’y attendre, le spectacle est sujet à la critique sinon aux commérages. On trouve la mariée très jolie mais aussi très jeune. On chuchote à propos de ses seize ans alors que Jos a sa majorité et est un homme. Pourtant, ce type d’union était relativement courant à cette époque et même que dans les années 1950 une union similaire va se répéter dans la descendance de Jos.

 

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Pourtant, on a déjà vu ça souvent.

 

 

Les amoureux sont seuls au monde et ne voient que leur bonheur. Jos est ému et, avec douceur et fierté, il passe l’alliance au doigt d’Anna. Elle, les yeux dans l’eau, lui prend la main forte et douce, la tient un peu pour marquer une pause et, sans bien voir, lui insère l’alliance. On les applaudit alors qu’il s’échange un baiser timide gardant leur effusion pour leur intimité.

 

Le curé présente le livre de l’église dans lequel est enregistré le mariage. C’est Anna qui signe en premier suivi de Jos qui signe son prénom au complet. Vient ensuite Épiphane, le père du marié et Basile Villeneuve, l’oncle d’Anna qui lui sert de témoin.

 

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Signature du registre

 

 

Les parents sont tous conviés chez les Larouche et un bon dîner leur est servi. On en profite pour boire un petit coup. En fin d’après-midi, les gens rentrent chez eux et les jeunes mariés vont se coucher assez tôt. Enfin, les deux amoureux sont unis pour la vie et leur bonheur est infini. Ils s’étendent dans leur nouveau lit conjugal à l’étage de la maison des Larouche. Avec douceur, Jos promène sa main sur la peau douce d’Anna et songe au bébé qui va naître. Il sera père de famille, sa famille. Le sourire d’Anna est complice, ensemble ils se projettent déjà dans un futur heureux.

 

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Conjuguez-vous les amoureux

 



22/12/2023
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