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2021-12-22-La grande histoire – Un déménagement et un Noël au camp

Juste après le Grand Feu, toute la population est dévastée. Elle a tout perdu. Beaucoup sont découragés et n’ont pas d’argent pour rebâtir leur maison et se procurer les animaux de la ferme. Ils sont contraints à s’exiler et l’exode se fait vers les États-Unis dans les manufactures. D’autres, avec une douzaine d’enfants, ne peuvent pas se déplacer et n’ont pas d’autres choix que de rebâtir de peine et de misère un nouveau chez-soi. Ils comptent sur la générosité des gens et de l’aide que la population canadienne leur donne.

 

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En 1870, c'est John A. Macdonald et n'avait pas de barbe.

 

 

Épiphane fait partie de ces jeunes plein d’énergie et d’enthousiasme qui ne se laisse pas abattre. Il n’a rien perdu durant la tragédie: il n’avait rien. Avec ses amis travailleurs, ils s’en vont au Bassin, vieux quartier situé à l’embouchure de la rivière Chicoutimi, pour travailler à l’autre moulin des Price. Le curé Dominique Racine, ayant arrêté le feu, a permis de garder la scierie en opération. La production de madriers et de planches est en forte demande pour rebâtir le village mais le moulin, malgré qu’il soit le plus gros, encore en fonction, manque de capacité. Épiphane pense qu'ils pourraient déménager et installer la turbine Francis restée sous les décombres de la scierie à la rivière du Moulin. Ses compagnons et lui ne demandent que les vivres et les outils en compensation mais un minimum de salaire pour se payer des vêtements, du manger et un petit boire. Ils se construiront un abri léger pour les mois d’été.

 

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On déménage, Francis.

 

 

Déterminé et avec un front de beu, Épiphane va rencontrer Evan Price, un des "brothers" et « big boss » de la Price Brothers and Co. Il fait valoir son idée et c'est sans aucune hésitation que sa proposition est acceptée. La raison est double : d'abord, la compagnie Price ne peut lever le nez sur ces fougueux travailleurs bon marché et ensuite, elle a un rôle de créateur d'emplois pour relever l'économie et le développement de la région du Saguenay.

 

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C'est un anglais, le "big boss",

don't forget.

 

 

Le mois de juin est plutôt pluvieux, ce qui fait contraste avec la canicule de mai qui a provoqué tant de souffrances. Épiphane et sa dizaine de compagnons travaillent du matin au soir. Ils commencent par se faire un abri un peu plus haut sur la rivière Chicoutimi. C’est là qu’ils installeront la turbine, en déviant une partie de la rivière. En récupérant une partie des pièces d’équipements du moulin incendié, ils pensent pouvoir faire fonctionner un petit moulin à scie d’appoint pour augmenter la production du gros moulin. Aujourd’hui, on peut retrouver l’emplacement du petit moulin qu'on appelait "La Cour à Bois" juste en arrière de la maison des Simard sur la rue Saint-Jean.

 

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Ça dont ben changé !

 

 

Pendant qu’une partie des gars à Épiphane construisent une conduite forcée pour alimenter la turbine, Épiphane et le reste de la gang vont à la rivière du Moulin pour sortir la turbine. La tâche est complexe. C’est une pièce très lourde et il faut se construire des leviers, des ponts et des glissières pour enfin tirer la Francis avec des palans à corde. Après deux semaines de travail acharné, la turbine est embarquée sur un chariot de transport. Tiré par quatre chevaux, la turbine est dirigée sur les lieux du nouveau moulin.

 

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Non, ce n'est pas le mois de juin.

Oui, c'est le même attelage.

 

 

À la fin du mois d’août, les travaux sont terminés. Monsieur Evan Price vient lui-même en personne assister au démarrage du moulin. La vanne de la conduite est ouverte et la turbine se met à tourner. On actionne l’embrayage pour faire tourner la grosse lame de scie. Tout va bien, on a pensé à tout. Après un bon quinze minutes, on actionne les leviers pour acheminer la première bille de bois. Elle est équarrie et ensuite, elle est coupée en en 2 x 12 de 12 pieds. Malgré quelques ajustements de dernières minutes, le moulin est maintenant en opération. Épiphane est heureux et affiche un grand sourire de satisfaction. Monsieur Price, debout un peu à l’écart, retire sa pipe de sa bouche et lui fait un clin d’œil approbateur.

 

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Pas sûr, qu'il cligne d'approbation.


 

Épiphane et sa gang font virer le moulin pendant les mois qui suivent. La réserve de billes de bois diminue rapidement. Monsieur Price est vraiment impressionné par la vaillance de ces employés. Il les appellent son "task force" (son groupe de travail spécial). En reconnaissance de leur dévouement, il leur propose d'embarquer sur le "payroll" (embaucher officiellement par la compagnie) et leur octroie un bonus substantiel. Il leur demande d'aller bûcher pendant l'hiver. À la fin de novembre, la neige commence à tomber de façon continue. Le moulin est mis à l’arrêt pour l’hiver. C’est alors que commence la préparation des outils pour la coupe de bois. Les scieurs de bois se métamorphoseront en bûcherons, c'est monsieur Price qui l'a dit.

 

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On ferme le moulin, les gars.

 

 

Si tout va bien pour les travailleurs de la scierie Price et des commerçants du village, on ne peut en dire autant pour les habitants des fermes environnantes. La région du Saguenay-Lac-Saint-Jean était qualifiée de pauvre et misérable, un pays voué à la désolation et la ruine. C’est ainsi que, pour essayer d’améliorer leur faible train de vie,  plusieurs pères de famille quittaient leur terre pour rejoindre les célibataires comme Épiphane et aller couper du bois pendant l’hiver. Ils laissaient leurs épouses avec une horde d’enfants dans la privation, l’insécurité et la précarité pendant les mois les plus difficiles de l’année.

 

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Le père part dans le bois

 

 

Les hommes doivent monter à pied aux chantiers. Ils doivent apporter leurs couvertures et ustensiles. Dans le camp des hommes, il n’y a que des lits; un seul grand où ils dorment pêle-mêle, ou de petits lits à étages recouverts de branches de sapin.

 

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C'est qui, qui couche au bord?

 

 

Pour le chauffage, il y a un énorme trou au plafond pour que la fumée sorte, car le chauffage et la cuisine se fait à l’aide d’un feu ouvert en plein milieu du camp. Au matin, il fait aussi froid à l’intérieur qu’à l’extérieur. La fumée ne parvient pas toujours à sortir du camp et l’air devient vite irrespirable. Et il y avait les poux, pas beaucoup de poux mais noir de poux. C’était difficile de dormir.

 

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Noir de poux

 

 

Le travail se fait du matin au soir, disons du lever du jour au coucher. Par chance, en hiver, la journée est courte: il fait clair à 7h et il fait noir à 4h. Et il faut manger au travers de tout ça : pain, soupe au pois, lard salé, fèves au lard, mélasse, sauce à poche (farine, eau avec gras de viande), picoune (sauce à base de farine et d’eau de maigre de lard). 

 

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Ça, c'est bon.

 

 

Et Noël arrive. En ce temps-là, c’est une fête religieuse assez solennelle célébrant la naissance du Christ. La compagnie Price accorde un congé de travail en ce jour de paix et de réconciliation. Comme Noël tombe le samedi, les hommes ont donc deux jours de congé car le dimanche, on ne travaille pas, c’est sacré. En ce dernier jour de travail, monsieur Price a envoyé un traineau au camp pour y livrer des victuailles. Cette générosité est très appréciée des bûcherons et la coutume s'est même perpétué dans le temps car je me rappelle que papa avait rapporté une dinde offerte aux travailleurs de la compagnie de son "big boss".

 

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Ho, Ho, Ho.

 

 

Pendant deux jours, ils changent leur ordinaire pour du ragoût de pattes de cochon, du boudin, des cretons, des pâtés à viande, du jambon, de la tête fromagée et des beignes. Ils ont aussi des légumes en conserve comme le chou, les carottes, les panais et les radis. Et pour des desserts festifs, ils ont de la tarte aux œufs à la muscade, de la tarte à la farlouche, de la tarte au suif et de la tarte au sucre.

 

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Cannelle ou sans cannelle ?

 

 

Malgré ces petits bonheurs, ces jeunes célibataires et pères de famille, ne peuvent s’empêcher de penser à leur famille, épouses, enfants. La mélancolie s’installe parmi eux, la tristesse est grande, les larmes sont refoulées.

 

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Tristesse 

 

 

Onze heures, pis aujourd'hui, ben c'est Noël
Ça doit être noir de monde sur le perron de l'église
Mon oncle Papou doit être nerveux là
C'est lui qui chante le "Minuit, Chrétiens" dans notre paroisse

C'est ben pour dire
On a beau pu être un enfant
Pis, en ce moment, ben
J'ai comme des boules dans gorge
Pis si c'était pas de ce maudit orgueil
Ben j'cré ben que j'braillerais


Ah, c'est une grande chose pareil
Un p'tit enfant vient au monde
Pis toute la terre le sait


Ti-Jésus, même nous autres icitte dans l'bois
Qui te blasphèment à grande journée
Tu sais que c'est pas pour mal faire
On a appris à sacrer avant de marcher


Hé les gars, vous êtes ben tranquilles ?


Joyeux Noël tout le monde!

 

Paroles de Tex Lecor, 1967-68

 

 

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Joyeux Noël !



22/12/2021
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