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2025-04-18-Incursion dans un gang de mottés évangélisés-La première journée

Je me suis réveillé tôt, comme d’habitude. Je n’ai pas eu besoin d’un tintement de cloche pour m’appeler à la prière. Plutôt que de prier, je me suis levé et je suis resté dans ma chambre à profiter de l’environnement avant d’aller au déjeuner.

 

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Je ne me suis pas senti appelé

 

 

Ma chambre, ma cellule de pèlerin, est bien confortable. Un petit lit, une grande fenêtre, un lavabo, une penderie et un pupitre pour écrire ou lire. Le décor est sobre mais pas pour la porte, pour moi en tout cas; c’est une œuvre d’ébénisterie. Je suis sorti dans la cour arrière autorisée pour nous, les pèlerins, mais interdit aux profanes, autorisée pour nous mais interdit pour elles. Ainsi soit-il. J’ai rencontré un moine pénitent, ils le sont tous. Je sais qu'il prie et je voulais m’en éloigner à tout prix.

 

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Sobriété mais pas pour la porte

 

 

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Un moine pénitent qui prie

 

 

J’ai retrouvé Jean-Luc qui revenait des « laudes », la prière du matin. Nous nous sommes approchés de la petite salle du déjeuner ou plutôt salle du petit déjeuner. Après avoir reçu l’autorisation d’entrer, nous avons découvert un bel endroit paisible pour manger nos toasts et prendre un bon café. Les confitures sont faites maison et le décor a su charmer l’artiste qui me côtoyait. Nous n’étions que trois ou quatre et le chuchotement était de rigueur.

 

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Bel endroit pour déjeuner et un moment de recueillement pour Jean-Luc.

 

 

Nous avions du temps avant la messe, frère Jean-Luc et moi, pour aller explorer les environs. Une petite marche dans les alentours nous a permis de découvrir tout le charme d’une vraie ferme bien entretenue. Il y a des champs, une serre, des poules, des chevaux miniatures, des vaches et mêmes des statues.

 

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Que de choses à voir

 

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Une abeillerie n'est pas une abbaye

 

 

La messe est la cérémonie religieuse qui rappelle le sacrifice de Jésus en répétant son dernier repas par le pain et le vin. En passant, Jean-Luc fait son pain au levain. Mais à la messe on ne peut pas apporter son vin et seuls les religieux peuvent jouir de ce nectar.

 

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Me semble qu'avec un peu de vin...

 

 

La messe était très importante pour moi. D’abord, hypocritement, elle me permettait d’afficher ma foi, ma spiritualité, ma dévotion, etc. Ensuite, elle me faisait bien paraître devant les autres fidèles dans la nef. Je paraissais encore mieux devant le cortège de moines défilant vers le chœur avec l’abbé en tête de file. Ma ruse a tellement bien fonctionné qu’un frère, pas Jean-Luc, m’a invité avec mon frère Jean-Luc à franchir le petit portail pour m’installer dans le transept juste avant le chœur. Cet endroit de l’église permet d’afficher un statut privilégié se situant entre les dignitaires ecclésiastiques et les pauvres fidèles. C’est ce même statut qui nous permettait d’accéder à l’intérieur de l’église par la petite porte de côté passant directement de l’abbaye à la nef sans passer par la grande porte à l’extérieur.

 

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Une place de choix

 

 

Pendant toute la duré de la messe, j’observais, j’écoutais (en latin incompréhensible), je lisais mon livre de messe et je suivais les mouvements religieux : assis, debout, à genoux, chou, hibou, bijou, caillou, dans l’ordre ou le désordre. À un moment donné, un moine s’est approché du lutrin sur lequel était déposé un gros livre, un livre d’histoire.

 

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Si je veux lire couché, je fais quoi?

 

 

Il nous a lu « Il était une foi », une histoire effrayante et j’ai pris peur. Je me sentais cloîtré sans aucune façon de m’échapper. Paralysé d’effroi et de froid, j’en ai bien peur, j’ai écouté l’histoire en entier, des gouttes de sueur perlant sur ma peau pourtant frigorifiée.

 

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Pauvres petits

 

 

Heureusement, la messe prit fin et le célébrant m’a regardé et m’a dit : « décâlisse ». Bien sûr, traumatisé comme je l’étais, j’ai tout déformé ses paroles latines. Le célébrant avait plutôt regardé tous les fidèles et avait dit : « allez dans la paix du Christ ». Il faut avouer que le message avait la même signification. Pour l’histoire terrifiante, je vous la raconterai une autre fois dans ma « Lettre aux impénitents ».

 

Après la messe et pour me remettre de mes émotions, je suis allé prendre une marche dans le village voisin. Ça m’a fait un grand bien mais ce faisant, j’ai sauté la sexte qui est juste avant le dîner. Après ça tu peux faire la sieste.

 

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Ça vaut bien une prière

 

 

Le dîner, qu’on appelle le déjeuner en Europe, est toute qu’une expérience. Les moines se rendent au réfectoire. C’est une salle où les membres d’une communauté religieuse prennent leur repas en commun. Les seins n’y sont pas admis, seuls les membres possédant l’attribut de la gent masculine peuvent s’y présenter. Mon frère et moi, nous le possédions. Avant de pénétrer dans le réfectoire, les convives se réunissent près de la porte et attendent le signe de l’abbé. Ce dernier précède le groupe et comme la hiérarchie est prédominante, on laisse passer les moines affamés en premier et nous, pèlerins, fermons la marche.

 

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Période d'attente

 

 

Le mot réfectoire vient du latin refectorium qui signifie réconfortant. Je peux définitivement vous confesser ou confirmer que c’est très réconfortant. Les plats sont de qualité cinq fourchettes et le vœu de pauvreté n’est pas admis dans ce lieu. Tous les repas comprennent une soupe, un plat principal composé de viande ou de poisson, de légumes, de pommes de terre ou autre féculent, de sauce et d’un savoureux dessert. Tous ces mets sont préparés par un chef cuisinier laïque aussi pieux et croyant qu’un moine. Les plats de service sont déposés sur un bout de la table et chacun se sert une humble portion avant de passer le plat à son voisin. Comme breuvage, de l’eau, rien que de l’eau, il n’y avait pas un christ pour nous la changer en vin.

 

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On veut pas devenir un christ, on veut du vin.

 

 

Si nous pouvons faire bonne chère, l’atmosphère est loin d’être festive. Comme la chair est faible, il faut suivre un protocole strict pour demeurer dans la piété et la contrition. Le mot d’ordre est l’absence de mot. Le silence est obligatoire et absolu, seuls quelques tintements d’ustensiles sont acceptables. La communication avec son voisin immédiat se fait par des mimiques et ne sert qu’à demander le plat de service pour se remplir l’assiette autant que la panse. Un signe de tête confirme l’intention du serveur de desservir.

 

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C'est pas moi qui le dit

 

 

La salle est rectangulaire. Les tables sont agencées en rangées sur la longueur. Chaque convive a une place attribuée. Les moines s’installent sur les tables placées sur les deux longs murs et s’élèvent sur une tribune pour bien nous faire sentir, nous les non moines, que nous occupons un rang inférieur. Notre table est au centre au niveau du sol. À l’extrémité de la salle, une autre tribune surmontée d’une seule table est réservée à l’abbé qui officie à titre de « père ». C’est lui le chef et nous surveillons son signe du coin de l’œil pour lui montrer notre soumission.

 

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 Un père, c'est un chef.

 

Chacun se place debout derrière sa chaise et attend en silence. Soudain, l’abbé récite le bénédicité, courte prière pour remercier Dieu du pain quotidien qu’il nous donne. Je suis étonné car il n’y avait pas rien que du pain pour le repas. J’aurais préféré le remercier pour le vin quotidien qu’il nous donne mais le pain ne se change pas en vin. Par contre, connaissant la science culinaire, je sais que le pain, après quelques jours de fermentation, se transforme aisément en bière.

 

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C'est pas un mystère, c'est de la chimie.

 

 

Finalement, le chef nous autorise à s’assoir et de commencer le festin. Les moines de service vont chercher les plats et les apportent sur la table. Ce sont ceux qui aspirent à devenir moine. Ils doivent vivre une période de postulat suivie d’une période de noviciat avant de promettre de convertir sa vie dans la pauvreté, la chasteté et l’obéissance. Seul le mot chasteté peut porter à confusion et vous me permettrez de clarifier ce terme. La chasteté est une attitude liée à la vie sexuelle et vise à vivre sa sexualité selon son statut social ou autre. Attention, on ne parle pas de continence qui consiste à s’abstenir de toute pratique sexuelle allant même jusqu’à s’abstenir de toute pensée sexuelle. Dans la religion catholique, la vertu de chasteté a une définition beaucoup plus large. Elle revient alors à être au service des autres et de pouvoir aimer Dieu et son prochain. Autrement dit, ce n’est pas parce que tu as fait le vœu de chasteté que tu ne peux pas manger ton prochain.

 

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Pas rapport !

 

 

Pendant que les moines en devenir vont chercher les plats, à l’autre extrémité de la salle, faisant face au chef, un moine qui ne mange pas, juché dans une petite alcôve placée en haut du mur, commence à raconter une histoire. Sa voix, transmise dans des haut-parleurs, vient agrémenter le repas. Si l’on doit manger en silence, il faut prêter l’oreille au récit et je peux vous assurer que ce prêt revient sans intérêt. Quand j’ai tourné la tête pour regarder le moine-parleur dans son alcôve, une image d’un coucou dans son pendule m’est venue aussitôt. Par respect envers l’artiste, j’ai écouté le récit. J’ai eu l’impression de retourner en enfance en écoutant cette histoire de cape et d’épée qui décrivait des batailles sanglantes, des guerres, des soldats, de vengeances, de victoires et de gloire au roi au plus haut des cieux.

 

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Coucou, le moine !

 

 

Et le ciel s’est présenté sous la forme d’un dessert des plus succulents. C’est là que j’ai compris pourquoi la modération ne faisait pas partie des vertus exigées dans la vie monastique. J’ai fait mes recherches et j’ai appris que le plaisir de faire bonne chère, tout comme le plaisir de la chair, est un péché. En fait, c’est le septième péché capital de la religion catholique répertorié par un père du désert et non pas un père du dessert.

 

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Plaisir céleste

 

 

Le repas terminé, le chef scrute la salle pour s’assurer que toutes les personnes sont attentives et d’un signe discret vers le coucou, il fait cesser l’histoire de cape et d’épée sans attendre la fin. Je suis resté sur mon appétit. Il fait tinter une clochette et tout le monde se place debout derrière sa chaise pour réciter une petite prière d’action de grâces. Ensuite, nous pouvons sortir de la salle dans le désordre.

 

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Merci, mon Dieu !

 

J’ai décidé de faire une entorse à mon hypocrisie et de laisser tomber toutes les autres prières à venir, les vêpres et les complies. Je m’étais préparé une excuse au cas où on m’aurait exigé une confession soit celle de remplacer les prières par des périodes de méditation. C’est comme ça que je me suis évadé en pleine nature pour une bonne marche d’exploration des lieux. Je suis revenu pour le repas du soir.

 

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Je reviens, je reviens !

 

 

Le souper, qu’on appelle le dîner en Europe, qu’on appelle le repas du soir au monastère, est d’un tout autre ordre. Il ne s’adresse qu’aux non-moines, les vrais moines faisant bonne chère entre eux. Le repas est offert dans la même petite salle que le déjeuner. Le décor est muséal et réjouit mon frère. Les seins y sont admis car un soir, une pieuse s’est jointe à nous. Nous n’étions que quatre ou cinq convives. Le silence est exigé mais comme on nous a laissé sans surveillance, nous nous sommes permis le chuchotement. La qualité de la nourriture était au rendez-vous sauf que le dessert avait souffert d’une certaine modestie.

 

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Décor muséal pour le souper et le frère Jean-Luc

qui fouille dans les tiroirs

 

 

Après cette dernière cène, nom qui désigne aussi le repas du soir, mon frère Jean-Luc et moi allons se recueillir dans ma chambre pour un bilan de la journée et un breffage pour celle du lendemain. Lorsqu’arrive le temps de mes ablutions pour la nuit, Jean-Luc quitte pour assister l’office des complies.   

Mes quatre prochaines journées au monastère se dérouleront dans cette même routine. Seules, mes périodes de méditations se dérouleront dans des couleurs différentes selon la température extérieure ou les endroits que je visiterai lors de mes marches de pèlerins. Je me réserve aussi quelques périodes d’étude qui me permettront de parfaire mes modestes connaissances de la vie monastique. Cette dernière se résume à chercher Dieu en toute chose. Telle est la vocation de tout chrétien. Pour le moine, cette quête de Dieu se vit dans le silence du monastère.

 

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Il ne faut pas perdre le nord

 

À suivre...



18/04/2025
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